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dimanche, 10 octobre 2021

Sommet UE-Balkans occidentaux

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Sommet UE-Balkans occidentaux

Bruxelles espère absorber les fragments de l'ex-Yougoslavie et l'Albanie

Le sommet UE-Balkans occidentaux, qui s'est tenu en Slovénie les 5 et 6 octobre, a réuni des responsables politiques de pays européens : membres de l'UE et ceux qui ont déclaré leur intention de rejoindre l'union. L'initiative elle-même a été lancée avec le soutien de l'Allemagne il y a plusieurs années et a fait l'objet d'un lobbying actif de la part de l'UE.

La critique du sommet doit commencer par le terme lui-même. Pourquoi parle-t-on des Balkans occidentaux? Officiellement, la Roumanie, la Grèce et la Bulgarie sont déjà membres de l'UE et de l'OTAN, il est donc prétendument nécessaire de délimiter ces pays du territoire de l'ex-Yougoslavie. D'autre part, les Balkans occidentaux comprennent la Croatie, qui a rejoint l'UE en 2013. Mais elle n'inclut pas la Slovénie, qui est une ancienne partie de la Yougoslavie. Pourquoi cette bizarrerie ? Probablement parce que des pays comme la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, la Serbie, la Macédoine du Nord, le Monténégro, l'Albanie et le Kosovo (non reconnu en Serbie et en Russie mais reconnu par de nombreux membres de l'UE), également appelés WB6, sont des constructions fragiles. Et leur fragilité est précisément fonction de l'intervention européenne, qui fait monter les tensions. Mais il est avantageux pour Bruxelles de créer un champ politique homogène à partir des pays indépendants, c'est pourquoi le processus d'européanisation a été lancé sous l'appellation de "Balkans occidentaux".

Cependant, il existe manifestement de nombreux problèmes de blocage. Euronews cite un éminent mondialiste qui exagère la situation. "Le plus grand risque est que la région s'éloigne progressivement de l'État de droit et de la liberté des médias", a déclaré Majda Ruge, du Conseil européen des relations étrangères. "Il existe un problème d'ingérence politique de certains États clés dans les affaires de leurs voisins, notamment en Serbie et en Croatie". Et le rapport se termine par le passage suivant : "Voyant que les négociations d'adhésion à l'UE pour les Balkans occidentaux sont dans l'impasse, des puissances telles que la Chine et la Russie se précipitent pour consolider leur influence dans la région et investir de l'argent pour atteindre leurs objectifs".

Si la Russie et la Chine sont des acteurs hypothétiques dans la région, la mafia albanaise, elle, pourtant, n'est pas inconnue. Il sera intéressant de voir comment le trafic de drogue et la traite des êtres humains (et des organes humains) pratiqués par les bandes criminelles albanaises se conjugueront avec l'État de droit. Cependant, les mondialistes préfèrent mettre l'accent sur d'autres problèmes: par exemple, lorsqu'ils parlent de l'État de droit, ils mentionnent l'ancien premier ministre macédonien Nikola Gruevski, qui a obtenu l'asile politique en Hongrie. Et Goran Zaev, qui a été la marionnette de George Soros pour renverser Gruevski, poursuit le démantèlement de la Macédoine, qui, sous lui, a été rebaptisée "Macédoine du Nord". Le rôle de la Hongrie, en revanche, montre qu'il peut y avoir des points de vue radicalement différents sur une même question. Alors que Zajev promeut l'agenda de Soros, Viktor Orban se bat contre tout projet de Soros en Hongrie. Et cela soulève la question suivante : l'UE peut-elle faire face à la cooptation des Balkans si l'UE elle-même se balkanise ? Le Brexit est également un bon exemple.

Au final, une déclaration a été publiée, exposant les résultats des négociations et les intentions futures. Il contient 29 points.

La première partie met l'accent sur les attitudes et les accords géopolitiques.

"L'UE réaffirme son soutien inconditionnel à la perspective européenne des Balkans occidentaux et se félicite de l'engagement des partenaires des Balkans occidentaux en faveur de la perspective européenne, qui est dans notre intérêt stratégique commun et reste notre choix stratégique commun. L'UE réaffirme son attachement au processus d'élargissement et aux décisions prises à ce sujet, sur la base de réformes crédibles des partenaires, de conditions équitables et strictes et du principe du mérite propre. Nous continuerons à intensifier notre engagement commun en faveur de la promotion du changement politique, économique et social dans la région, tout en reconnaissant les progrès réalisés dans les Balkans occidentaux. Nous rappelons également l'importance pour l'UE d'être capable de soutenir et d'approfondir son propre développement, en garantissant sa capacité à intégrer de nouveaux membres".

"Les partenaires des Balkans occidentaux réaffirment leur attachement aux valeurs et principes européens ainsi qu'aux réformes nécessaires pour leur population. L'UE se félicite de l'engagement renouvelé des partenaires des Balkans occidentaux en faveur de la primauté de la démocratie, des droits et valeurs fondamentaux et de l'État de droit, ainsi que des efforts constants déployés pour lutter contre la corruption et la criminalité organisée, soutenir la bonne gouvernance, les droits de l'homme, l'égalité entre les sexes et les droits des personnes appartenant à des minorités. La crédibilité de ces engagements dépend de la mise en œuvre effective des réformes nécessaires et de l'établissement d'un bilan solide, étayé par une communication claire et cohérente avec le public. Une société civile habilitée et des médias indépendants et pluralistes sont des composantes essentielles de tout système démocratique, et nous saluons et soutenons le rôle qu'ils jouent dans les Balkans occidentaux".

Nous constatons ici une ingérence politique manifeste de l'UE, qui impose aux pays des Balkans des techniques déjà éprouvées de multiculturalisme, de mariage homosexuel et d'autres pratiques anti-traditionnelles, acceptées en Europe occidentale.

En Europe occidentale, l'idée même des Balkans occidentaux est présentée comme une promotion de l'inclusion et de la solidarité européennes (avec toutes ses conséquences).

Mais il est douteux que les populations des Balkans occidentaux soient attachées à ces "valeurs". C'est plutôt l'inverse. Par conséquent, un argument fort de Bruxelles en faveur de l'intégration européenne était la promesse d'investissements et de subventions.

Les résultats concrets du sommet sont les suivants :

    Un plan économique et d'investissement (PEI) de 30 milliards d'euros ;
    Un engagement pour augmenter la vaccination contre le COVID-19 ;
    Une voie pour réduire les coûts d'itinérance ;
    Programme innovant pour les Balkans occidentaux ;
    "Green Lanes" et le plan d'action communautaire pour les transports.

L'UE s'efforcera de tirer parti de ce succès et de poursuivre les initiatives pro-européennes, tant au niveau bilatéral qu'à travers la plate-forme du sommet. Bien que de nombreuses initiatives européennes aient échoué dans les Balkans, on ne peut diminuer le sérieux des intentions et des capacités de Bruxelles à ce stade. Étant donné que le Monténégro et la Macédoine du Nord sont déjà dans l'OTAN.

La rêverie impériale de Bernard-Henri Lévy : une reconnaissance implicite de la multipolarité ?

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La rêverie impériale de Bernard-Henri Lévy: une reconnaissance implicite de la multipolarité?

Alexander Bovdunov

Ex: https://www.geopolitica.ru/article/imperskie-gryozy-bernara-anri-levi-priznanie-fakta-mnogopolyarnosti

Le philosophe mondialiste Bernard-Henri Lévy rapporte que le président de la République française et son homologue italien annonceront dans les prochaines semaines un "pacte du Quirinal", qui serait calqué sur le traité de l'Élysée, lequel fixe le cadre des relations franco-allemandes. Le pacte entre l'Italie et la France est évoqué depuis des années. Cependant, selon le philosophe libéral, c'est maintenant le bon moment pour conclure un tel traité. Bernard Henri Lévy cite le texte "L'Empire latin" de 1945, écrit par Alexandre Kojève, un philosophe français néo-hégélien d'origine russe. Kojève l'a écrit pour le général de Gaulle. Lévy considère le concept d'"Empire latin" comme une chance pour la France de Macron.

Les empires comme report/préparation de la fin de l'histoire

La signification de l'"Empire latin" est la suivante: après 1945, l'ère des États-nations a pris fin et le monde est façonné en empires post-nationaux. Kojève pensait que l'un de ces empires mondiaux était l'Union soviétique, l'autre le bloc anglo-saxon des États-Unis et de la Grande-Bretagne. L'Allemagne est déchirée entre ces empires. Cependant, selon le philosophe, un autre pôle pourrait s'affirmer: la France, ainsi que l'Italie, l'Espagne et le Portugal, les pays du "monde latin" unis non pas par le protestantisme et l'éthique du travail (comme l'empire anglo-saxon), mais par les racines catholiques, la capacité à vivre de manière esthétique (style commun) et l'héritage romain.

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Sur le plan géopolitique, Kojève propose une union supranationale d'un "empire latin" basé sur le contrôle exclusif de la Méditerranée et des possessions coloniales en Afrique. Dans le domaine religieux, cet empire devait s'appuyer sur l'Église catholique (Kojève a même suggéré qu'un tel empire pourrait réaliser l'unification avec l'Église orthodoxe dans les relations avec l'URSS). En outre, en raison de son caractère universel, le catholicisme était considéré par Kojève comme un moyen important pour l'empire de ne pas se fermer, un rappel que l'empire n'était qu'une "étape" sur la voie de l'unification finale de l'humanité.

Pour Kojève, la fin hégélienne de l'histoire s'incarnerait alors dans le triomphe du "catholicisme chrétien" plutôt que de l'humanisme irréligieux.

La France: secousse impériale ou oubli ?

A première vue, l'invocation de l'idée impériale sous une forme catholique semble étrange pour le Lévy ultra-libéral et mondialiste. Pourtant, c'est Lévy qui a publié ce texte de Kojève, jusque-là oublié, en 1991. Aujourd'hui, de l'avis du philosophe, elle est encore plus pertinente.

"Je demande si Emmanuel Macron a lu Kojève, parce qu'il arrive la même chose aux grands textes qu'aux événements historiques ; parce qu'il faut du temps, souvent toute une vie, pour qu'ils trouvent leur sens plein et entier ; et parce que 75 ans après la première publication de ces pages légendaires, le monde semble être exactement dans la situation que Kojève avait prédite", écrit Lévy.

"Voilà donc l'Empire russe qui, avec d'autres dont personne n'attendait une telle embellie, se réaffirme sur la scène internationale. Voici les États-Unis.... L'Allemagne d'Angela Merkel, et celle qui lui succédera, confirme sa dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie et, en même temps, son statut stratégique de satellite des États-Unis."

"L'idée est qu'il existe une communauté de valeurs, de civilisation et de métaphysique entre les peuples de l'Europe du Sud qui, si elle est soulignée et réalisée, permettra de lutter contre l'appauvrissement croissant des capacités humaines".

Ainsi, les discussions, les frottements égoïstes entre les cultures et les petits comptes laisseront place à une véritable vision ; cette richesse commune aura l'occasion de s'affirmer ; et certainement sans remettre en cause les acquis historiques de l'axe franco-allemand, l'occasion se transformera en succès, et l'événement prendra une signification métapolitique maximale.

Ce sera la dernière occasion pour la France de ne pas courir vers l'abîme : vers la rétrogradation, vers le statut de puissance naine, vers la disparition de la grande politique sous une clameur souveraine et populiste".

La dernière affirmation est extrêmement importante. Le fait est que Lévy n'est pas le seul à s'inquiéter du déclin de l'influence de la France. La conclusion de l'alliance anglo-saxonne AUKUS, le coup porté à la réputation sous la forme du rejet par l'Australie du contrat de construction de sous-marins de plusieurs milliards de dollars de la France en faveur des États-Unis, la controverse frontalière post-Brexit en cours avec le Royaume-Uni montrent que, quelle que soit la proximité idéologique entre Macron et Biden, les libéraux et les mondialistes, la logique géopolitique des événements pousse leurs pays dans des coins différents. Le mondialiste Macron est de plus en plus contraint de jouer le rôle de souverain européen, prônant une armée européenne unique et une plus grande autonomie de l'Europe au sein de l'OTAN.

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D'autre part, la France de Macron est confrontée à de nouveaux défis dans sa sphère d'influence traditionnelle, l'Afrique, dont les Français sont évincés par la Russie, la Chine et la Turquie. L'arrivée d'experts militaires russes au Mali et les déclarations anti-françaises des autorités maliennes qui ont récemment accusé Paris de soutenir le terrorisme montrent que l'influence de la France au Sahel est remise en question. La France n'a pas pu ou voulu faire face à la menace terroriste dans la région et le retrait de la France du Mali a été comparé au désastre américain en Afghanistan. La Russie se renforce aussi activement en RCA. La Turquie, est devenue le deuxième partenaire économique de l'Algérie et a pris pied en Libye. La Chine devient un acteur majeur dans toute l'Afrique ex-française et la population locale déteste les Français et attend de dire adieu à Paris et à ses mandataires.

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Paris est confronté au problème de la réévaluation de sa stratégie géopolitique et de son adaptation au monde multipolaire émergent. Que devrait être la France ? Un pôle indépendant, un allié des États-Unis, une partie du noyau franco-allemand d'une Europe unie et indépendante ? Différentes réponses sont proposées. Par exemple, le général Henri Roure (photo, ci-dessus) suggère que la France soit considérée comme une puissance mondiale (une sorte de pendant à la "Global Britain" post-Brexit) et se développe en s'appuyant sur des possessions d'outre-mer :

"La France n'est pas un pays européen, c'est un pays de tous les continents. Son vaste territoire n'est pas le seul atout de la France en tant que grande puissance. Une armée puissante, une dissuasion nucléaire, le deuxième plus grand réseau diplomatique du monde, un siège permanent au Conseil de sécurité et un monde francophone contribuent à sa puissance potentielle. Ces vecteurs doivent être développés et améliorés. Bien sûr, la France est forte d'une économie prospère, mais le PIB n'a jamais été un facteur mondial exceptionnel. Les Français sont aveuglés par le système capitaliste ultra-libéral imposé par les États-Unis, qui classe les pays en fonction de leur production, en dollars bien sûr".

La Nouvelle Droite (Alain de Benoist et autres), n'est pas moins patriotique, mais positionne la France comme faisant partie d'un futur pôle européen souverain, dans un monde multipolaire, orienté vers l'amitié avec la Russie sur le plan géopolitique et vers le maintien de la tradition et de l'identité dans le gris de la politique intérieure. Il y a de tels souverainistes européens en Italie aussi. Il est intéressant de noter que non seulement les philosophes de droite mais aussi ceux de gauche plaident pour une plus grande souveraineté européenne ou une réévaluation de la structure de l'UE. Ainsi, le philosophe italien de gauche Giorgio Agamben a également fait référence à l'idée de Kojève d'un "Empire latin" :

"Aujourd'hui, alors que l'Union européenne s'est constituée en ignorant les liens culturels concrets qui existent entre les nations, il serait utile - et pertinent - de faire revivre la proposition de Kojève. Ce qu'il avait prédit s'est avéré vrai. Cette Europe, qui cherche à exister sur une base strictement économique, en abandonnant toutes les affinités authentiques entre mode de vie, culture et religion, a démontré à plusieurs reprises ses faiblesses, notamment sur le plan économique."

La géopolitique de "l'empire latin"

Dans le domaine de la géopolitique pratique, une évolution vers un "empire latin" signifierait une alliance entre Rome et Paris pour résoudre les problèmes en Méditerranée. L'enjeu est la richesse pétrolière et gazière de Chypre, sur laquelle l'italien ENI et le français Total ont des vues. Le problème pour les deux pays est la Turquie, qui revendique des parties importantes du plateau, à la fois en son nom et au nom de la République turque de Chypre du Nord non reconnue.

Ces dernières années, l'Italie a été en désaccord avec la Turquie sur la question de la coopération avec les gouvernements de Tripoli, qui ciblent les mêmes forces qui ont le dessus dans l'ouest du pays. Toutefois, si le rapprochement franco-italien se poursuit, Paris et Rome pourraient tenter de mettre la pression sur chacun de leurs "alliés" en Libye - l'Italie à la Turquie et la France à la Russie (car Paris et Moscou sont plus favorables au maréchal Khalifa Haftar dans le conflit libyen).

Enfin, l'Italie et la France peuvent essayer d'équilibrer leur influence en Afrique en attirant également l'Espagne et le Portugal. Au sein de l'UE, un bloc transalpin pourrait faire contrepoids à l'Allemagne en confiant à Paris le rôle de tenir la balance.

Rêves impériaux

L'orientation de Lévy, mondialiste, en direction de l'hégélianisme, également mondialiste dans la version de Kojève, qui vise à unir l'humanité par le passage et le dépassement ultérieur de la dimension impériale, est très intéressant. Plus récemment, il s'est exprimé au nom d'un seul empire libéral qui est contesté par cinq rois : cinq pôles de pouvoir indépendants. Il affirme aujourd'hui que cet empire n'existe pas et que la France pourrait devenir le centre d'un des nombreux empires qui se partageront le monde, empires fondés sur une "communauté de valeurs, de civilisation et de métaphysique". Oui, la référence de Kojève aux "empires post-nationaux" signifie que l'objectif de créer à terme une humanité unique persiste. Cependant, comme Kojève, Lévy est obligé de reconnaître que la fin de l'histoire sous la forme d'une humanité libérale commune est reportée. Le temps des empires arrive. Et le fait qu'il (et même lui) ne soit pas le seul à envisager l'empire en France est très révélateur pour la compréhension de la situation dans laquelle nous nous trouvons. C'est un peu comme le passage de Francis Fukuyama de l'optimisme libéral de la "fin de l'histoire" à l'affirmation de la nécessité de renforcer l'État-nation moderne.

Plus intéressant encore, les mondialistes reconnaissent que le projet d'une humanité unifiée s'est effondré, le monde devient multipolaire (sans toutefois perdre l'espoir que cette multipolarité puisse être dialectiquement dépassée).

vendredi, 08 octobre 2021

Implacable géopolitique

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Implacable géopolitique

Par Alberto Hutschenreuter*

Ex: https://nomos.com.ar/2021/09/13/la-implacable-geopolitica/

S'il existe une réalité catégorique dans les relations internationales actuelles, c'est bien la relation intrinsèque qui existe entre, d'une part, l'intérêt politique pour la possession et la rentabilisation de territoires et, d'autre part, des finalités (généralement) associées à une accumulation de profits pour le pouvoir national. 

Dans cette phrase, nous pouvons apprécier plusieurs concepts qui, dans les approches considérant que le monde à venir sera marqué par la mondialisation, la "e-mondialisation", la "globotique", la connectivité et l'"intelligence non humaine", semblent appartenir à un univers qui est désormais dépassé. 

Cependant, depuis que la "géopolitique a disparu" au début des années 1990, après la mort de l'URSS et la confrontation bipolaire, rien n'a cessé d'être géopolitique, pas même la mondialisation presque totalisante qui a succédé au régime de la guerre froide; car la mondialisation, avec son fort contenu commercial-économique et pratiquement aucune place pour d'autres alternatives, signifiait, pour paraphraser Clausewitz, "la continuation de la géopolitique par d'autres moyens" : en effet, sous la promesse qu'en suivant le "script" de la mondialisation, la croissance et le développement allaient rapidement s'avérer atteignables, de nombreux pays adhérents ont ouvert leurs territoires et démantelé les réglementations étatiques face aux bénéfices de la mondialisation qui, comme tout processus international, n'a jamais été neutre. 

Dans les décennies qui ont suivi, tout est resté géopolitique: l'attaque du 11 septembre sur le territoire le plus protégé de la planète est le résultat d'un changement de nature géopolitique du terrorisme transnational au cours des années 1990 ; l'élargissement de l'OTAN est une décision politico-territoriale claire ; l'offensive russe en Géorgie implique la défense offensive des zones géopolitiques rouges de la Russie ; l'approche des puissances à l'égard de l'espace extra-atmosphérique montre clairement qu'il est très relatif de prétendre que l'espace extra-atmosphérique soit un bien commun à toute l'"humanité" ; la projection de forces éloignées pour combattre le terrorisme, par exemple en Afghanistan, etc. , toutes ces vicissitudes sont des impulsions géopolitiques ciblées. 

Malgré cette séquence d'événements politico-territoriaux, ce n'est que lorsqu'un pays a subi une mutilation d'une partie de son territoire que l'on a considéré que la géopolitique était "revenue". 

En effet, ce n'est que depuis l'annexion ou la réincorporation de la Crimée au territoire national de la Fédération de Russie que la géopolitique a réussi à "récupérer" sa centralisation en tant que concept, c'est-à-dire à redevenir la discipline qui abordait le territoire à partir des intérêts politiques et du pouvoir national des États, et non pas une discipline "à la carte", c'est-à-dire un terme "dénaturalisé" et critique utilisé pour décrire tout ou presque tout ce qui s'est passé dans le monde, de l'environnement à la finance, en passant par le populisme, le commerce, les idéologies, les discours, etc.

Il s'agissait plutôt d'un acte de réparation conceptuelle, puisque dans la pratique, la géopolitique n'a jamais disparu. Comme pour d'autres réalités, telles que la guerre, il ne dépend pas tant de la volonté de l'homme que la géopolitique "disparaisse et ne revienne pas" : elle dépend de certaines habitudes politico-territoriales de la part de certains États, et des intérêts en jeu.

En 2020, la pandémie a poussé les États dans leurs retranchements, mais les événements géopolitiques se sont déroulés comme si la pandémie n'existait pas et ont eu de la vigueur, comme l'élargissement de l'OTAN dans les Balkans, l'activité de la Russie dans l'Arctique, la "remise à zéro" du terrorisme en Afrique, etc. Et en 2021, l'activité géopolitique ne connaît pratiquement pas de trêves.

A titre d'exemples actuels d'échelle, considérons très brièvement cinq événements, dont certains pourraient être, comme au XXe siècle, "un siècle de géopolitique totale" (pour paraphraser cette fois Raymond Aron), des "vannes géopolitiques", c'est-à-dire des événements purement politico-territoriaux qui précèdent et sont les moteurs d'événements capitaux.

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Tout d'abord, les événements en Afghanistan ont ramené ce pays d'Asie centrale sous les feux de la rampe internationale. Au-delà du retrait américain, le fait géopolitique est la caractéristique de "pivot géopolitique" qu'assume cet acteur situé dans une région dynamique de la grande masse continentale eurasienne.

Dans le contexte régional, et même au-delà, le rôle de pivot implique des possibilités de désordre ou d'instabilité dans la zone environnante, où se trouvent des acteurs dont la caractéristique principale est la construction et la projection de puissance, par exemple, la Chine, la Turquie, l'Iran, le Pakistan, etc. Par conséquent, le dénominateur commun en termes d'intérêts territoriaux est d'empêcher l'anarchie interne d'être transférée (délibérément ou non) au monde extérieur.

Dans ce contexte, certains pays ont un rôle clé à jouer dans l'évolution de l'Afghanistan, notamment la Chine, le Pakistan, l'Iran et la Russie. Peu de situations dans le monde impliquent la concordance des intérêts d'acteurs aussi importants, ce qui fait de l'Afghanistan un tourbillon géopolitique mondial.

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Deuxièmement, le statut de l'Europe de l'Est en tant que plateau géopolitique mondial sélectif semble de plus en plus basculer vers l'extrême d'une plus grande discorde. L'Ukraine est également un "pivot géopolitique", mais, contrairement à l'Afghanistan, elle l'est en raison de son statut géopolitique non réversible, c'est-à-dire que l'Ukraine insiste pour défier la Russie en augmentant l'appréhension géopolitique de cet acteur prééminent dans la région ; un fait qui implique que les acteurs situés dans ses régions adjacentes (principalement le Belarus, l'Ukraine et la Géorgie) tiennent toujours compte des conséquences de leurs décisions de défense et de politique étrangère pour la Russie en matière de sécurité nationale. 

D'autre part, la Chine pourrait donner lieu à l'émergence d'une nouvelle configuration géopolitique dans la masse continentale eurasienne. Selon l'intéressant texte de Geoffrey Sloam publié en 2017, la projection géoéconomique de la Chine sur le continent eurasien est appelée à dépasser le " Rimland " et le " Heartland ", les deux conceptions géopolitiques prédominantes du XXe siècle. Quelque chose comme un "Centerland" qui, s'il est achevé dans les prochaines décennies, pourrait même impliquer une nouvelle configuration entre les États dans laquelle les États-Unis ne seraient pas, pour la première fois en près de 80 ans, le principal fournisseur de biens publics internationaux.

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La Russie et l'Allemagne, "deux vieux amis" (sauf pendant les deux guerres mondiales), ont également revalidé la géopolitique, car l'achèvement prochain de "Nordstream 2" confirme que l'approvisionnement en gaz est et sera "d'État à État", aucun tronçon ne passant par des pays tiers. Ce n'est pas une coïncidence si un ancien ministre des affaires étrangères d'une Pologne inquiète a averti il y a quelques années qu'il s'agissait d'un "nouveau pacte Ribbentrop-Molotov".

Sans aller jusqu'à affirmer que les deux pays s'orientent vers un partenariat stratégique, et encore moins que l'Allemagne "revient à la pratique des calculs puissance-territoire ", le pipeline a montré que l'Allemagne a défendu ses intérêts nationaux face à la pression des États-Unis, qui estimaient que l'empoisonnement de Navalny en 2020 finirait par aliéner Berlin à Moscou.

Enfin, les autorités chiliennes ont récemment approuvé un décret visant à étendre le plateau continental sud du Chili, en avançant sur la délimitation territoriale du plateau continental de l'Argentine, une démarche qui viole clairement les termes du traité de paix et d'amitié signé par les deux pays en 1984, ainsi que la convention des Nations unies sur le droit de la mer.

Sans entrer dans les détails techniques et les mécanismes de règlement des différends, la démarche du Chili, acteur de tradition expansive, implique une poussée géopolitique d'un acteur qui a le sens de l'espace, pour reprendre l'expression de Friedrich Ratzel, tant dans le domaine des idées que dans celui des actes. Le Chili est l'un des acteurs régionaux où il existe ce que l'on appelle une "géopolitique appliquée", c'est-à-dire qu'il n'y a pas de séparation entre les penseurs qui se penchent sur sa territorialité et son exécutif politique.

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L'initiative met également en évidence l'un des principaux fondements théoriques du réalisme dans les relations internationales : au-delà du régime politique et des relations de bon voisinage qui peuvent prévaloir entre les États, un État ne sait jamais quelles sont les intentions d'un ou de plusieurs autres États.

En bref, il existe de nombreux développements territoriaux dans le monde. Voici quelques-unes des plus sensibles et des plus intéressantes pour la réflexion sur un monde où l'on accorde trop d'importance aux aspirations sans substance, alors que les variables classiques - celles qui comptent pour l'intérêt, la sécurité, les ambitions et le pouvoir - sont négligées.

*Alberto Hutschenreuter est titulaire d'un doctorat en relations internationales. Professeur à l'Instituto del Servicio Exterior de la Nación. Son dernier livre s'intitule Ni guerra ni paz, una ambigüedad inquietante, Editorial Almaluz, Buenos Aires, 2021.

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Décisionnisme tunisien

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Décisionnisme tunisien

par Georges FELTIN-TRACOL

Où va la Tunisie depuis le 25 juillet 2021 ? Ce jour-là, fête nationale du pays, le président de la République Kaïs Saïed annonce à la télévision la mise en œuvre immédiate de l’article 80 de la Constitution de 2014. Il décrète l’état d’exception, suspend les séances du Parlement et limoge le gouvernement de Hichem Mechichi dont il désapprouvait la politique.

Le président tunisien a pris cette mesure d’urgence alors que la Cour constitutionnelle chargée d’en valider l’application n’existe toujours pas. La nomination de ses membres s’empêtre depuis six ans dans les méandres des chicaneries politiciennes. Outre l’impéritie gouvernementale en matière sanitaire et le naufrage consécutif du système de santé, le chef de l’État veut nettoyer les écuries d’Augias.

Par la « Révolution de jasmin » qui chassa le président Ben Ali en 2011, la Tunisie serait devenue le parangon arabe, africain du nord et proche-oriental de la démocratie aux critères occidentaux cosmopolites. La décision présidentielle suscite la grande inquiétude de l’Allemagne et des États-Unis toujours prêts à défendre le pouvoir législatif, y compris vérolé par l’islamisme. Or, en une décennie presque perdue, le peuple tunisien a vécu une nette dégradation du niveau de vie, l’augmentation massive du chômage et l’explosion de la corruption. La partitocratie (plus de soixante-dix partis !) favorise cette dernière qui transforme le Parlement en bac à sable pour garnements indisciplinés et en carrefour idoine pour de juteux profits. Le président Saïed a ordonné la levée de l’immunité parlementaire de certains députés et lancé des poursuites contre plusieurs magistrats.

Par son choix audacieux salué par la rue tunisienne exaspérée, le chef d’État n’hésite pas à heurter le principal parti politique du pays, les islamistes conservateurs d’Ennahda (« Renaissance » en français). Créée en 1981 et légalisée en 2011, cette formation issue des Frères musulmans de Tunisie a longtemps été le fer de lance de l’opposition à Ben Ali. Son chef, Rached Ghannouchi jusqu’à présent président de l’Assemblée des représentants du peuple, a vécu de nombreuses années en Grande-Bretagne. Il y bénéficiait du statut de réfugié politique. Ghannouchi serait-il un agent d’influence de la « Global Britain » dans une région habituellement convoitée par la France, l’Italie, l’Égypte et la Turquie ?

Âgé de 63 ans, Kaïs Saïed accède à la présidence avec 72,71 % des voix au second tour en 2019 face à l’homme d’affaires Nabil Karoui. Ce juriste rigoureux, par ailleurs enseignant universitaire, dirige de 1995 à 2019 l’Association tunisienne de droit constitutionnel. Il se fait connaître du public au moment de la rédaction de la Constitution de 2014 en étant un invité régulier à la télévision et à la radio. S’exprimant en arabe classique et non en dialecte tunisien, il attire la curiosité, puis la sympathie du public qui apprécie ses critiques contre les politiciens corrompus. Libre de tout engagement partisan, le futur président mène une campagne électorale modique, seulement aidé par des volontaires motivés et ses anciens étudiants. Ses manières rigides et son mode de vie ascétique plaisent beaucoup aux électeurs.

Sa volonté de contenir les petits jeux politiciens agace ses détracteurs. Certains l’accusent d’islamo-conservatisme. Favorable à la peine de mort, Kaïs Saïed n’apprécie pas l’idéologie LGBTQA+++. Ce non-islamiste estime néanmoins que l’islam informe la société et les mentalités tunisiennes. Ainsi se montre-t-il hostile à toute égalité entre les hommes et les femmes en matière d’héritage. Très influencé par le récit panarabe nassérien, il tient en politique étrangère des positions souverainistes. Cet anti-sioniste refuse toute relation diplomatique avec l’État d’Israël.

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D’autres contradicteurs le décrivent cependant en gauchiste masqué. Kaïs Saïed n’apprécie pas l’actuel texte constitutionnel qui établit un régime semi-présidentiel à forte prépondérance parlementaire. Pendant la campagne présidentielle, il propose une démocratie directe avec le recours fréquent au référendum. Cette mesure a aussi été défendue par les « Gilets jaunes » en France avec le RIC (référendum d’initiative citoyenne) et par un nouveau parti en Allemagne, Die Basis ou Basisdemokratische Partei Deutschland, soit le « Parti de la démocratie de base d’Allemagne ». Sur l’une de ses affiches pour les législatives de septembre 2021, on peut lire : « Pour le référendum. Trouver avec les autres la meilleure voie. »

À la démocratie directe, le président tunisien prône aussi la possibilité de révoquer les élus à tout moment, et un parlement élu au suffrage universel indirect dans des circonscriptions régionales. Les députés proviendraient des conseils régionaux eux-mêmes constitués de délégués extraits des conseils locaux (ou communaux). Dans ce système politique révolutionnaire, seul le chef de l’État, impartial car détaché de toute coterie partisane, serait élu au suffrage universel direct.

Cette conception institutionnelle serait-elle une référence implicite à Carl Schmitt ? Signant un article mis en ligne le 20 novembre 2019 sur un blogue hébergé par Médiapart et intitulé « Tunisie. Puissions-nous, de la Révolution culturelle de Kaïs Saïed, être préservés ! », Salah Horchani accuse Kaïs Saïed de « schmittisme ». Il dégaine même l’argument ultime : « Carl Schmitt et Kaïs Saïed, écrit-il, ont les mêmes initiales, à peu près. Tout cela donne une origine nazie à la refonte constitutionnelle que Kaïs Saïed nous a projetée. » Dans une réponse en date du 11 décembre 2019 sur le site Leaders.com.tn « Non, Kaïs Saïed n’est pas schmittien », Mohamed Chérif Ferjani considère au contraire le président tunisien comme un redoutable populiste.

Ces deux auteurs oublient que plutôt que suivre les leçons du rédacteur de la Théorie de la Constitution guère connu dans le monde arabe, Kaïs Saïed s’inspire du voisin libyen et du Livre vert de Mouammar Kadhafi qui développe la « troisième théorie universelle ». Dans le cadre de la Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste, le Congrès général du peuple repose en principe sur des milliers de Congrès populaires de base avec une révocation possible des délégués. Souvent traduit en français par « État des masses », Jamahiriya correspond surtout à l’ochlocratie.

Depuis deux mois, la Tunisie semble suspendue. Aucun chef de gouvernement n’a été nommé. Les responsables des ministères régaliens exercent à titre provisoire. Kaïs Saïed paraît abasourdi devant l’ampleur de la tâche. Il tarde à donner des orientations claires. Il envisagerait de dissoudre le Parlement, de convoquer des élections générales et de modifier la constitution dans un sens plus présidentialiste. Sous sa férule, la Tunisie passerait-elle progressivement de la démocratie représentative des partis, paravent commode aux compromis ploutocratiques, à une « démarchie » participative charismatique ? Les chancelleries occidentales n’ont pas fini de se faire du souci.

 GF-T

  • Entre l’enregistrement de cette chronique et sa diffusion, le président tunisien a enfin nommé, le 29 septembre dernier, au poste de chef du gouvernement Najla Bouden, une géologue spécialiste des questions pétrolières. C’est la première fois qu’une femme occupe cette fonction au Maghreb et dans le monde arabe.

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  • « Vigie d’un monde en ébullition », n° 4, mise en ligne sur Radio Méridien Zéro, le 5 octobre 2021.

jeudi, 07 octobre 2021

AUKUS: pas de place pour les Européens dans le Pacifique !

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AUKUS: pas de place pour les Européens dans le Pacifique !

Les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie sont unis dans leurs efforts pour freiner l'expansionnisme chinois

L'Europe reste sur la touche

par Salvatore Recupero

Ex: https://www.centrostudipolaris.eu/2021/10/07/aukus-nel-pacifico-non-ce-spazio-per-gli-europei/

"La France a été poignardée dans le dos". C'est du moins ce qu'affirme Jean-Yves Le Drian, le ministre français des affaires étrangères. L'Australie, en effet, a annulé (sans préavis) le contrat avec Paris pour la fourniture de sous-marins conventionnels d'une valeur de 90 millions de dollars. Les Britanniques ont remporté le contrat pour la production de sous-marins à propulsion nucléaire. L'affaire a eu et aura des conséquences géopolitiques importantes. Avant de comprendre pourquoi, nous devons analyser le contexte dans lequel ce choix a été fait.

Qu'est-ce qu'Aukus ?

À cet égard, nous devons d'abord comprendre ce que signifie Aukus. Aukus désigne les trois nations (Australie, Royaume-Uni et États-Unis) qui ont signé un pacte de sécurité trilatéral. L'accord prévoit (pour l'instant) que les États-Unis et le Royaume-Uni aident l'Australie à développer et à déployer des sous-marins à propulsion nucléaire, renforçant ainsi la présence militaire occidentale dans la région du Pacifique. Mais de qui Camberra doit-elle se défendre ? De la Chine, bien sûr. L'annonce a été faite le 15 septembre de l'année dernière et a provoqué un tollé. Évidemment, il y a eu un tollé à Pékin, mais nous sommes plus intéressés par l'impact de l'accord sur Paris en particulier et l'Europe en général.

C'est la France qui en a payé le prix, puisqu'elle a vu l'annulation d'une commande de plusieurs millions de dollars. Un fait étrange, notamment parce que Paris en 2016 (lors de la signature de l'accord) avait reçu la "bénédiction" de Washington. Alors pourquoi annuler le contrat ? La réponse n'est pas simple et est de nature politique, ou plutôt liée à la stratégie militaire. 

Comme l'explique Dario Fabbri (1), analyste chez Limes, "acheter une technologie militaire signifie se ranger du côté du fabricant en cas de guerre". "La France ne pourrait pas suffire à elle seule à protéger l'Australie en cas de conflit. Les États-Unis ont besoin que l'Australie utilise son armement pour mieux participer à l'endiguement de la République populaire". Après avoir abandonné l'Afghanistan (qui borde la Chine sur 90 km), Washington doit contenir la République populaire par la mer. Mieux vaut donc les Britanniques que les Français. Le Royaume-Uni, après s'être libéré de ses faibles liens avec Bruxelles, peut renforcer ses liens avec les pays du Commonwealth. Londres, comme le disait Churchill, choisira toujours entre l'Europe et la "haute mer". Rien de nouveau alors. Cette affaire, en fait, nous ouvre aussi les yeux sur la signification géopolitique du Brexit. Mais revenons au choix de Camberra. 

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La France et l'Indo-Pacifique

La colère de Paris ne sera pas facilement apaisée. La réaction à chaud a été de rappeler ses ambassadeurs aux États-Unis et en Australie.  Les Français n'accepteront pas facilement d'être coupés de cette partie du globe. Il y a de nombreuses raisons à cela, et pas seulement une question de grandeur et de gloire. 

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Pour comprendre ce qui a été dit, il est nécessaire de lire la stratégie indo-pacifique de la France (2) élaborée en juillet par le ministère français des affaires étrangères. La France (il faut le rappeler) est le seul pays de l'UE qui possède des territoires dans la région indo-pacifique: les départements de La Réunion et de Mayotte, les collectivités de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française, le territoire de Wallis-et-Futuna et les Terres australes et antarctiques françaises. L'ensemble de ces territoires représente une population de 1,65 million d'habitants (plus d'un million pour les deux départements de l'océan Indien). Évidemment, Paris défend ses positions par une présence militaire importante. Ensuite, il y a l'aspect économique. En 2019, environ 18 % des importations françaises provenaient de la région indo-pacifique, et environ 14 % des exportations françaises étaient destinées à cette région. Ces flux commerciaux ont augmenté de 49% au cours des dix dernières années. Il faut aussi ajouter que l'Élysée "dépense et dépense" beaucoup dans ces territoires : les investissements directs ont représenté environ 8% de ses investissements globaux en 2019 (6% hors Chine), soit 113 milliards d'euros. 

Cela dit, il est clair que la France veut jouer la troisième roue du carrosse entre la Chine et les États-Unis dans cette partie du monde. Le choix de Canberra a sans doute affaibli l'influence de Paris et surtout, Biden a envoyé un message clair à l'Elysée : il n'y a pas de place pour les Européens ici. Cependant, la Maison Blanche ne veut pas rompre complètement avec Paris. 

La France sera-t-elle indemnisée ?

Selon de nombreux analystes, afin d'apaiser la colère des Français, les Américains ont déjà décidé de laisser le champ libre à leurs cousins français au Sahel. De plus, Macron en profitera pour tisser son réseau d'alliances en Méditerranée et au-delà. Les élections présidentielles approchent et l'Elysée doit montrer qu'il peut se relever de cette défaite. C'est pourquoi Paris a vendu trois frégates à la marine grecque (3). La Grèce souhaite depuis longtemps renforcer sa flotte, comme elle l'a déjà fait avec les chasseurs Rafale (également fabriqués en France) dans le ciel. L'axe entre Macron et le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis porte déjà ses fruits. 

Mais l'Elysée ne s'arrête pas là. D'autres accords sont prévus. Tout d'abord, avec la République tchèque (4) : le ministère tchèque de la Défense a donné son feu vert à l'acquisition de 52 obusiers automoteurs Caesar auprès de Nexter Systems. Le montant de l'opération s'élève à environ 335 millions d'euros. In secundis avec la Roumanie (5) : la marine de Bucarest est intéressée par l'achat de navires de guerre produits par Naval Group (le géant français qui vient de signer la vente des frégates FTI à la flotte grecque). Bref, Paris, après la claque anglophone, ne reste pas les bras croisés en attendant de se rattraper dans l'Indo-Pacifique.

Mais pour en revenir à l'Aukus, il n'a pas seulement porté préjudice à la France. Avant d'être officialisée, elle a également touché l'Italie, en particulier Fincantieri. Malheureusement, le récit de ce préjudice n'est pas apparu dans les médias italiens.

Aukus frappe Fincantieri

Le seul à en avoir parlé est Alberto Negri (6). L'ancien correspondant d'Il Sole 24 Ore rapporte qu'en juin dernier, la "plus grande commande navale italienne de ces dernières décennies, celle passée à l'Australie pour neuf frégates, d'une valeur totale d'environ 23 milliards d'euros, a été perdue". La commande a été remportée par l'entreprise anglaise Bae Systems, devant deux autres concurrents, Fincantieri et l'entreprise espagnole Novantia. C'était un choix politique plutôt que technique, ce qui le rend d'autant plus brûlant. Le choix, en effet, n'avait aucune justification sur le plan technologique: "Les Fremms italo-françaises - souligne l'IAI, l'Institut des affaires internationales - sont les unités en service les plus avancées au monde. Ce n'est pas tout: Fincantieri avait prévu d'investir directement en Australie pour la construction des navires et d'impliquer largement les fournisseurs locaux". En bref, les premières victimes de l'Alliance Aukus ont été nous, les Italiens. 

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L'Italie misait beaucoup sur cette commande. La diplomatie avait battu son plein : une croisière spécifique d'un Fremm de la marine et une visite d'une délégation gouvernementale en Australie avaient été organisées. Tout semblait aller pour le mieux, mais Canberra a ensuite décidé qu'il ne valait pas la peine de couper le cordon ombilical qui la lie à Londres et, surtout, à Washington. Le résultat est une défaite pour nous. Mais la presse italienne a préféré garder le silence, peut-être pour ne pas embarrasser le gouvernement Draghi.

La seule considération que nous pouvons tirer de ces événements est que l'Europe est comme un chien attaché à une laisse rétractable. Lorsque la bande est desserrée, nous avons l'illusion d'être libres, puis le maître (l'OTAN et donc les États-Unis) appuie sur le bouton et nous sommes obligés de battre en retraite. Personne n'est sauvé: tout au plus les Français ont-ils un peu plus de marge d'autonomie. Mais seulement si cela sert à faire la "guerre des ordres" avec l'Italie. Diviser pour mieux régner: une tactique qui a toujours fonctionné.

Le message de Stoltenberg

Si quelqu'un a encore des doutes sur la "souveraineté européenne", Jens Stoltenberg, secrétaire général de l'OTAN, expliquera comment les choses fonctionnent. Dans une interview accordée à Il Sole 24 Ore (7), le parti travailliste norvégien a expliqué que : "L'Union européenne ne sera jamais en mesure de défendre l'Europe. En partie pour des raisons financières : 80 % des dépenses militaires de l'OTAN proviennent d'États non membres de l'UE. En partie pour des raisons géographiques: la Norvège au nord, la Turquie au sud, le Canada, les États-Unis et le Royaume-Uni à l'ouest contribuent tous à la défense de l'Europe. 

Il ne sert pas à grand-chose de porter les dépenses militaires à 2 % du PIB si cet argent n'est pas affecté à un projet de défense européenne commune. Ainsi, chaque euro que les Européens investissent dans les dépenses militaires ne servira qu'à renforcer l'OTAN, l'organisation qui limite notre souveraineté. Pour en revenir à la métaphore précédente, le chien (l'Europe) n'est pas seulement tenu par une laisse rétractable, mais il est également condamné à se mordre la queue. En bref, nous ne pouvons pas être surpris par des "sous-marins français" ou des "frégates italiennes".  Que nous le voulions ou non, tant que nous faisons partie de l'Alliance atlantique, nous devons nous soumettre à la volonté de Washington. 

Notes:

    1. Affaire Aukus : Etats-Unis-Australie-France. Que s'est-il passé ? Dario Fabbri sur Limes.com 24 septembre 2021
    https://www.limesonline.com/lapprofondimento-di-dario-fabbri-caso-aukus-stati-uniti-australia-francia-cosa-e-successo/125096

    2. La stratégie indo-pacifique de la France, élaborée par le ministère français des Affaires étrangères, publiée le 1er août 2021.
    https://au.ambafrance.org/IMG/pdf/en_indopacifique_web_cle0f44b5.pdf

    3. Frégates françaises pour la Grèce : les premiers effets de l'Aukus. Rivista Italiana Difesa par Pietro Batacchi 29 septembre 2021
    https://www.rid.it/shownews/4419

    4. Les Tchèques signent un accord pour acheter de l'artillerie française montée sur camion. Par Ap News 30 septembre 2021
    https://apnews.com/article/business-europe-prague-systems-ltd 02b5a883be52137b65b0a57827f5e128

    5. MApN : "Ferme volonté de signer" un accord-cadre pour quatre corvettes Gowind 2500 avec la société française Naval Group, récemment impliquée dans la crise des sous-marins. Par l'agence G4 Media.Ro. Par Alexandru Stanescu 29 septembre 2021
    https://www.g4media.ro/exclusiv-mapn-isi-exprima-in-mod-ferm-disponibilitatea-de-semnare-a-acordului-cadru-pentru-cele-patru-corvete-gowind-2500-cu-compania-franceza-naval-group-implicata-recent-in-criza.html

    6. Aukus va-t-il paralyser Fremm de Fincantieri ? Réflexion publiée sur la page Facebook d'Alberto Negri 19 septembre 2021
    https://m.facebook.com/story.php?story_fbid=1778361029015456&id=100005247276544

    7. Stoltenberg (Otan) : "Sans les États-Unis, l'UE ne pourra jamais défendre l'Europe" Interview de Beda Romano Il Sole 24 Ore 25 août 2021
    https://www.ilsole24ore.com/art/stoltenberg-nato-senza-usa-l-unione-europea-non-sara-mai-grado-difendere-ue-AExhDle

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mercredi, 06 octobre 2021

La longue "Nakba" américaine en Afghanistan et la "nouvelle guerre froide"

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La longue "Nakba" américaine en Afghanistan et la "nouvelle guerre froide"

Un changement dans le "nomos" de l'Empire

Irnerio Seminatore

Source: https://www.ieri.be/

La complexité du thème abordé tachera de faire le point sur deux aspects de la situation afghane, idéologique et géopolitique et touchera à la surface les deux concepts-clés de la puissance impériale, celui de la territorialité et celui de la crédibilité internationale du leadership dans la solidarité des alliances

Sur le plan idéologique, l'entreprise de démocratisation forcée des peuples s'imposant aux  régimes autochtones  les plus divers a été partout  un échec et a comporté partout une défaite; en Libye , en Irak, en Syrie, au Vietnam et aujourd'hui en Afghanistan. Paradoxalement les croisades idéologiques ou théologico-politiques,condamnent tôt ou tard  les croisés. En effet , derrière les messianismes des envahisseurs on oublie souvent l'âme des peuples qui vivent dans la tradition, armés de la force du passé , par opposition à l'esprit des utopistes qui se complaisent  dans le monde des idées et vivent, en faux réformateurs,  dans l'ingrate problématisation de l'avenir, totalement à inventer. Une défaite est une défaite! Symbolique, militaire, intellectuelle et stratégique.

Dès lors la conception de l'ordre  d'une période historique révolue apparaît d'un coup comme  caduque. L'ordre occidental,qui se révélait au milieu du XXe siècle comme un modèle d'équilibre sociétal avancé,  oscillant entre progrès et réformes, dévoile sa fragilité et son mythe . La démocratie au bout des baïonnettes n'est que l'absence d'un équilibre local entre élites inféodées à l'étranger et leur protecteur  systémique, russe ou occidental .La colonisation démocratique,par un Impérium  dépourvu d'autorité morale ou  d'un magistère spirituel a payé son prix! Commencée avec le régime soviétique en 1979, elle s'est conclue dans  le déshonneur américain en 2021. L'ingérence dans les affaires intérieures  d'autres Etats de la part du globalisme supra-national se poursuit encore en Ukraïne, en Biélorussie et dans les Pays Baltes à l'Est et , dans  l'Europe de l'Ouest, en Hongrie et en Pologne . Mais il s'agit toujours d'un normativisme abstrait. Cependant l'horizon final de l'ingérence  porte un nom, Nakba, autrement dit  "catastrophe".

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L'indignité d'un Etat impérial d'avoir cédé à une violence sans Etat, à une force normative sans souveraineté.  Ce n'est point l'erreur d'un homme, faible et inadapté, c'est la faillite d'un système  de pensée, l'uniformisation du monde par un concept ou un système de concepts! Or,  il n'est pas d'empires qui ne soient nés par la force et morts sans soubresauts ou destitutions d'Etats. La supériorité des idées importées, doit se traduire en supériorité sur l'enracinement et les convictions profondes face aux  tempêtes de l'Histoire. L'effondrement de l'Union Soviétique n'a pas encore absorbé ses répercussions systémiques. Il a engloutit la grandeur impériale, d'abord tsariste, puis  britannique , successivement communiste et enfin  américaine. Mais la tradition tribale en Asie centrale a résisté à la modernité étatique et occidentalisante.

Aujourd'hui l'Asie semble tendre vers un système d'Etats qui ne répliquera pas le système européen du XXe siècle et différera de la conjoncture historique de la fin de la deuxième guerre mondiale, au temps où , suite  à l'affaiblissement des nations européennes, débutait le long processus de la première "guerre froide" en Europe et simultanément  montait dans l'univers  colonial, la lutte pour l'indépendance nationale et l'émancipation politico-économique espérée et érigée en mythes, à laquelle  on peut assimiler aujourd'hui la longue guerre d'Afghanistan.

Au plan géopolitique, une page de la géopolitique  mondiale se tourne, impliquant une reconfiguration des rapports de pouvoir dans toute la région d'Asie centrale et l'entrée dans une nouvelle "guerre froide", plus large, plus flexible et plus dynamique  de celle, relativement statique et codifiée,  du monde bipolaire de l'immédiat après guerre, centrée sur le contrôle bipartite de l'Europe. Il s'agit d'une compétition belliqueuse,intense et permanente, fondée sur l'étrange mixité de coopération et de conflit et ce dernier, considéré comme le  but de fond du procès historique, est lui même, direct, indirect et hybride.A la lumière de ces considérations, la chute de l'Afghanistan apparait comme un retrait stratégique  de la puissance dominante des Etats-Unis, un recentrage asiatique, longtemps différé, remodelant la confrontation entre acteurs "pivots", (importants pour leur position sur l'échiquier mondial ) et les acteurs géo-stratégiques ou systémiques,(importants pour leurs desseins , ambitions, influence et capacité de projection des forces),  Cette chute affecte le Heartland, le coeur de la terre centrale et déplace le maelstrom socio-politique de la coopération et du conflit vers le coeur de l'Indo-Pacifique, plus au Sud, caractérisé par deux ordres spatiaux, ceux de la mer libre et de la terre ferme. La mer libre et disputée , constituée  d'îles , presqu'îles et archipels, est conjointe aux bordures océaniques et à la masse continentale  autrefois inaccessible, mais ouvertes aujourd'hui par les routes de la soie. Ainsi  la région de l'Indo-Pacifique devient le coeur d'un processus d'influence, de polarisation et de prééminence, économique et culturelle entre les deux titans du système, l'Empire du milieu et la Grande Ile du monde.

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Ici les puissances moyennes et les acteurs mineurs sont  obligés de choisir la forme de pouvoir qui leur donne le maximum de protection et de sécurité et le minimum de risque en cas de crise majeure. L'humiliation de l'Amérique ne favorise pas un calcul facile des intérêts conflictuels et des futurs rapports de force. Culture et politique, histoire et conjoncture déterminent la modification de la balance mondiale et premièrement le statut de pouvoir des Talibans. La parenté ethnique et culturelle avec le Pakistan, le "Pays des Purs", prévaudra-t-elle sur le poids de la Chine, grande créatrice de biens publiques (les infrastructures  du monde post-moderne)? La "stratégie du chaos" ou de la terre brulée, ou le renvoi de la pomme de terre bouillante, laissée par les forces d'occupation servira t-elle davantage la Russie ou l'Amérique? L'ambition ottomane d'Erdogan se révèlera-t-elle une utopie ou une velléité hors de portée?. Dans la géopolitique du "Grand Jeu", quelle place pour la rivalité d'un autre empire de proximité, héritier lointain de celui de Xerxes , le Rois des Rois de l'antiquité contemporaine?  A l'Ouest de l'Eurasie, l'affront  de l'Occident a été également l'humiliation de l'Otan divisée et obsolète, en voie de redéfinition de ses relations avec la Russie. Ainsi le bipolarisme systémique et non dissimulé, sous couvert de triade (Chine, Etats-Unis et Russie) est non seulement plus diffus et différencié, en termes de pouvoir et de souverainetés militaires, du bipolarisme codifié et statique du vieux monde conflictuel,  essentiellement russo-occidental, mais définit aussi "une nouvelle guerre froide", celle  des grands espaces et un changement de taille et d'époque dans la souveraineté impériale et dans la domination du monde. La longue "Nakba" étasunienne en Afghanistan remet par ailleurs en cause la crédibilité du Leader de bloc, perçu comme régulateur  politique de l'espace mondial et garant de la  protection de ses alliés, harcelés  par le danger d'un retour à la  terreur islamique. Suivant la logique de formes d'interdépendances asymétriques, cette menace fait rebondir les risques et les préoccupations sécuritaires vers  l'Europe, où couvent, sous des cendres dangereuses,  des conflits dormants et irréductibles Or la logique des grands espaces rapproche les différenciations et les intérêts civils et militaires de pays lointains , favorisant les divisions  et les manipulations impériales, dictées par la rivalité autour de la prééminence mondiale  et de la recherche d'alliances  crédibles, régionales et planétaires.

Sur la territorialité des empires et sur la pertinence de son exercice

Ce changement de taille et d"époque est un dépassement des deux conceptions de la territorialité, de la terre ferme et de la mer libre , qui avaient dominé le monde depuis l'ordre spatial de la "Respublica Christiana". Mais il est aussi un changement de nature de "l'universale" et du "particulare" et de la différente division du monde, des pouvoirs et des idées qui sont intervenus depuis De surcroit, la portée de ce changement demeure incompréhensible, si on n'y intègre pas les deux dimensions de l'espace post-moderne, non territorial, celui virtuel de l'univers cybernétique  et celui eso-atmosphérique des grandes puissances balistico-nucléaires. Cependant les outils techniques des révolutions scientifiques  ne changent en rien aux buts de la guerre et du conflit , qui  demeurent éminemment politiques, puisqu'ils concernent le gouvernement des hommes par d'autres hommes, dans leurs rapports de culture, de commandement et d'obéissance, car on commande et on obéit toujours à l'intérieur d'une culture. Il s'agit de la transformation de l'impérialité hégémonique nationale ou régionale en une conception hégémonique du système international comme un tout et donc comme régulateur suprême de la paix et de la guerre. A la lumière de cette hypothèse, la crédibilité de l'empire est essentielle à celui-ci, pour se maintenir et pour fonder ses alliances sur son soutien. En effet , au delà du principe "pacta sunt servanda, " l'ultima ratio regum', pour maintenir la cohésion d'un ensemble territorial composite,  demeure toujours la décision impériale de l'épée et de la guerre.

Depuis 1945, l'hémisphère occidental a été placé sous l'hégémonie des Etats-Unis et le droit international public d'inspiration universaliste, sous l'égide des Nations Unies, a cautionné les grandes orientations de l'Occident. Or, par antithèse à l'ordre purement normatif du monde global, posé en universel abstrait, hors de toute référence géopolitique, l'idée d'un "ordre concret" oppose au premier, selon une approche "réaliste", un ordre international fondé sur la coexistence de plusieurs grands espaces politiques,dominés chacun par une puissance hégémonique. La notion d'empire devient ainsi le cadre de référence de ce nouveau "Nomos", irradiant les "idées" politiques, portées par des peuples , conscients de leur mission historique. C'est la trace sous-jacente du monde multipolaire actuel.

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La territorialité, constituée de peuples, cultures, environnements et traditions diverses, devient l'espace d'un ordre planétaire concret, puisque, tout ordre politique fondamental est d'ordre spatial. Le "Nomos" y est spécifique, car lié a des territoires, des phonèmes et des lumières originaux et incomparables. A une approche de synthèse , à la base de la territorialité et des ordres  politiques spatiaux, il y a toujours des phénomènes de puissance et l'ordre normatif international et supranational, qui vient de communautés étrangères et lointaines ( ONU, OTAN, EU, etc..) y est réduit visiblement, car la projection d'un pouvoir de contrôle demeure inacceptable et incompréhensible aux populations locales, comme ce fut le cas en Afghanistan et ailleurs.

Le "Nomos de l'impérialité et la multipolarité discriminatrice de la géopolitique

L'ordre politico-diplomatique de la multipolarité, proche  de la théorie des grands espaces, a pour fondement une stratégie de régulation différenciée et autarcique. A territorialités  différenciées , gouvernement politique "discriminatoire" et concret! Si tout ordre politique est spatial, cet ordre est un "Katéchon", selon C.Schmitt, c'est à dire un ordre conservateur, qui préserve une communauté donnée de sa dissolution et de son épuisement historiques. Dans cette perspective change le "sens" de la guerre ou de la volonté de contrôle d"Hegemon et, au delà,  de l'impérialité hégémonique même, en tant que concept, porteur de visages historiques multiples.

Le "Nomos" de l'impérialité découle d'un ordre permanent de crise et d'équilibre entre centre et périphérie, ainsi que d'une option stratégique entre manoeuvres de la terre et de la mer, mais aussi,à un niveau tactique, entre l'impérialité comme idée- limite d'un césarisme centraliste total et d'un degré de liberté des régimes politiques locaux. Il est également la résultante concrète d'un césaro-papisme post-moderne et gibelin , qui remplace la religion par la laïcité et  l'Eglise  dispensatrice de la grâce, par des médias pourvoyeurs de légitimité partisane. Au coeur d'un  humanisme neutralisant et dévoyant., officié autrefois par le Souverain Pontife de Rome, s'installent désormais l'anarchisme, le néo-réformisme religieux  et le piétisme droit-de-l'hommiste triomphants. Ce Nomos est donc non seulement sans transcendance (sans l'appui religieux du papisme), mais aussi sans une légitimité reconnue et universelle. De surcroit dans la dialectique contemporaine du pouvoir et de sa contestation permanente, à l'anarchie contrôlée des Etats souverains s'oppose le nihilisme normativiste des épigones  du globalisme et les turbulences destructivistes des fronts républicains écolos-populaires.

En Afghanistan nous avons dû constater que les deux camps opposés n'étaient pas sur le même plan politico juridique, puisque la qualité des belligérants confrontait des Etats souverains reconnus à des rebelles sans autre titularité que la normativité de la force. Cette disparité de droit aura une importance successive dans la normalisation internationale de la situation et dans  la reconnaissannce du gouvernement taleban. Les Etats ont  essayé de déthéologiser les conflits ordinaires  de la vie publique et de neutraliser les antagonismes de la vie civile confessionnelle , inversant le processus qui avait conduit en Europe à une rationalisation et limitation de la guerre dès les XVIe et XVIIe siècles. Mais la connexion de la  guerre civile et de la guerre anti-islamique n'a pas réussi à circonscrire la guerre à l'aide de la politique, du concept d'Etat ou d'une coalition d'Etats. L'ennemi a échappé à toute qualification juridique et à toute discrimination entre l'hostis  et le rebelle, ce qui aurait comporté la reconnaissance de la parité dans un cas et une  guerre d'anéantissement dans l'autre. Ainsi Le Nomos  d'Empire ne peut être pensé par lignes globales ni par théâtres. selon une répartition par hémisphères ou par zones de légitimité compatibles.

Il s'agit d'un fil conducteur de l'histoire et des régimes politiques, qui a perdu toute injonction normative et conduit à la saisie du sens concret du devenir, mais aussi à la distinction entre limites des deux hiérarchie de pouvoir, celui de la potestas ou pouvoir militaire de l'Imperium et celui de l'auctoritas ou du povoir moral de la religion.

 

Bruxelles le 5 Septembre 2021.

mardi, 05 octobre 2021

La Russie contourne l'Ukraine. Du gaz vers la Hongrie via la mer Noire (et les Balkans)

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La Russie contourne l'Ukraine. Du gaz vers la Hongrie via la mer Noire (et les Balkans)

Lorenzo Vita

Ex: https://it.insideover.com/energia/la-russia-scavalca-lucraina-il-gas-allungheria-passa-per-mar-nero-e-balcani.html

L'importance stratégique du gaz n'est pas seulement représentée par le pays producteur et importateur, mais aussi par le territoire qu'il traverse. L'Ukraine en sait quelque chose, puisqu'elle a récemment vu le transit de l'or bleu russe vers la Hongrie interrompu. Après le contrat signé par le géant gazier russe Gazprom à Budapest, l'approvisionnement énergétique de la Hongrie ne viendra plus d'Ukraine, mais de Serbie. Le gaz de Moscou empruntera la route de la mer Noire, puis la Turquie, la Bulgarie et enfin la Serbie, pour entrer dans les foyers des Hongrois sans passer par le territoire contrôlé par Kiev.

Le contrat signé par le ministre hongrois des affaires étrangères, Peter Szijjarto, et la directrice générale des exportations du géant gazier russe, Elena Burmistrova, prévoit une fourniture de gaz de 4,5 milliards de mètres cubes par an pendant quinze ans. Après 2036, une nouvelle prolongation peut être négociée.

Pour Budapest, il s'agit d'une livraison d'une importance fondamentale, avant tout parce qu'elle confirme la capacité du gouvernement de Viktor Orban à agir sur plusieurs fronts dans le secteur de l'énergie. Mais ce qui ressort avant tout, c'est le coup porté par le Kremlin au voisin indiscipliné de l'Ukraine, qui, pour la première fois, a été privé des droits de transit du gaz de Moscou vers le pays d'Europe centrale. Un geste qui a un poids spécifique très important dans les relations entre les deux pays, à tel point que Kiev a immédiatement demandé aux États-Unis et à l'Allemagne de sanctionner la Russie pour ce qu'elle considère comme une "utilisation politique" du gaz par son voisin.

La demande ukrainienne, cependant, rompt avec une vérité que Kiev lui-même connaît bien. Dénoncer l'utilisation politique du gaz et de ses approvisionnements, c'est en fait dénoncer quelque chose qui est clair pour tout le monde en Europe et au-delà. Ce n'est pas un hasard si l'Union européenne, ainsi que les États-Unis, ont opté depuis un certain temps déjà pour une politique de diversification des sources d'énergie afin d'éviter la dépendance au gaz russe. Ce n'est pas non plus une coïncidence si l'UE et les États-Unis ont encouragé la création d'Eastmed, un projet de gazoduc visant à acheminer le gaz des champs de la Méditerranée orientale directement vers l'Europe, en contournant la Turquie. On ne peut pas non plus oublier l'opposition absolue des États-Unis à Nord Stream 2, qui relie les champs gaziers russes aux terminaux allemands.

L'idée de diversification vient d'une perspective purement politique ainsi que de la nécessité de se protéger d'un nombre réduit de pays fournisseurs. Mais cela permet de montrer que tout le monde est extrêmement conscient du rôle politique du gaz. Surtout, dans une phase où l'on parle de transition énergétique, mais c'est dans celle où l'or bleu à être le véritable "game-changer" de la politique de nombreuses régions du monde. En commençant par l'Europe de l'Est.

En ce sens, il est clair que recevoir ou ne pas recevoir de gaz russe est un message. Tout comme le fait de le voir passer sur son territoire. Couper à l'Ukraine le droit de passage du gaz vers la Hongrie entraîne une perte d'argent (selon Kiev, totalement injustifiée), mais c'est surtout le signal donné par Moscou d'une nouvelle position sur le front occidental. Il ne faut pas non plus sous-estimer le choix de désigner le Turkish Stream (et ensuite la suite du Balkan Stream) comme un corridor pour le transport de l'or bleu. Ce choix est obligatoire, oui, sur le plan géographique, mais il est également fondamental pour comprendre les relations complexes entre la Russie et la Turquie, comme le confirme la récente rencontre de Recep Tayyip Erdogan avec Vladimir Poutine. Au fil des ans, le président turc a fait preuve d'une certaine proximité avec les intérêts ukrainiens : mais dans le même temps, il ne peut s'empêcher d'exploiter les tensions pour obtenir des droits de transit qui lui seraient autrement refusés. Et pour tisser davantage la toile de l'étrange relation avec le Kremlin.

dimanche, 03 octobre 2021

L'Allemagne post-Merkel sous le signe de la continuité: puissance économique et insignifiance géopolitique

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L'Allemagne post-Merkel sous le signe de la continuité: puissance économique et insignifiance géopolitique

par Luigi Tedeschi

Source : Italicum & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/la-germania-del-dopo-merkel-nel-segno-della-continuita-potenza-economica-e-irrilevanza-geopolitica

L'héritage du merkelisme

L'ère Merkel s'est achevée, sans beaucoup de regrets pour l'Italie. En réalité, l'héritage de Mme Merkel est identifié à la primauté de l'Allemagne en Europe, et ses politiques étaient axées sur la stabilité politique et la croissance économique allemande. Mme Merkel n'est pas à l'origine d'une nouvelle doctrine politique ni d'un modèle économique et social novateur: le "merkelisme" peut être défini comme un pragmatisme qui implique l'adaptation économique et géopolitique de l'Allemagne à un monde globalisé en constante mutation. Mme Merkel n'a pas non plus été l'architecte de grandes réformes structurelles. Les grandes réformes qui ont conduit à la transformation du capitalisme d'inspiration sociale et de la cogestion en un système néolibéral anglo-saxon avaient déjà été menées par son prédécesseur social-démocrate Schroeder à travers les quatre plans Hartz de 2003 à 2005. Mme Merkel a ensuite mis en œuvre ce processus de réformes néolibérales, générant une crise d'identité peut-être irréversible au sein de la social-démocratie allemande.

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Au cours de ses 16 années de chancellerie, Mme Merkel a obtenu la sortie de l'Allemagne du nucléaire, supprimé le service militaire obligatoire, lancé le processus de reconversion énergétique, fait adopter la loi autorisant les mariages homosexuels, institué le salaire minimum, équilibré le budget, accueilli un million de réfugiés syriens et développé considérablement les relations économiques avec la Chine, qui est devenue son principal partenaire commercial.

Ce qui est certain, c'est qu'en 2005, Mme Merkel a hérité d'une Allemagne en crise profonde, dans laquelle elle se débattait depuis la réunification, mais qui a rapidement atteint une croissance remarquable qui a permis de réduire de moitié le chômage et de porter le PIB par habitant à des niveaux deux fois supérieurs à ceux de la Grande-Bretagne, de la France et du Japon. L'Allemagne de Mme Merkel s'est rapidement hissée au rang de puissance économique mondiale.

Mais ce développement tourbillonnant a été réalisé grâce au taux de change fixe établi avec l'unification monétaire, qui a conduit à d'énormes excédents de la balance commerciale, au détriment des pays européens les plus faibles, contraints à des dévaluations internes récurrentes et à des politiques d'austérité imposées par les règles budgétaires établies par le pacte de stabilité, avec des réductions conséquentes des dépenses publiques et des privatisations dévastatrices qui ont conduit à la déstructuration industrielle des États. En outre, avec l'adoption de l'euro, l'Allemagne a pu bénéficier d'un taux de change très compétitif pour ses exportations vers les pays tiers, étant donné que la valeur de l'euro sur les marchés financiers (résultant de la performance globale des économies des pays de la zone euro) était sous-évaluée, c'est-à-dire bien inférieure à la valeur que le mark aurait eue en présence du niveau élevé de l'excédent commercial obtenu par les exportations allemandes. En outre, les excédents commerciaux allemands au sein de l'UE ont été réalisés en violation ouverte des règles du Pacte de stabilité européen. Mais l'Allemagne n'a jamais été sanctionnée par les autorités européennes, compte tenu de sa position prépondérante dans les institutions de l'UE.

Le "merkentilisme" européen: un pangermanisme financier

La primauté allemande dans l'UE a créé une Europe structurée sur un modèle inspiré de la rigueur financière, qui a fait passer les équilibres budgétaires avant le développement et l'investissement. En effet, depuis la crise de 2008, la reprise en Europe a été beaucoup plus fragile et limitée qu'aux États-Unis et en Chine. La croissance de l'Allemagne n'a pas été un moteur pour les économies des autres pays européens. Au contraire, la croissance de l'Allemagne et de ses pays satellites du nord s'est accompagnée d'une récession/stagnation dans les pays du sud de l'Europe.

Le modèle merkelien adopté par l'UE pourrait être défini comme un "pangermanisme financier", dans la mesure où la primauté de l'Allemagne n'a pas fait participer les économies des autres pays à la croissance, mais a plutôt exproprié leurs ressources économiques et humaines et, par le mécanisme de la dette, a profondément affecté la souveraineté politique même des États du Sud.

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Le rôle dominant de l'Allemagne en Europe a conduit à l'imposition d'une rigueur financière aux effets dévastateurs. Dans le cas de la crise de la dette grecque, la rigidité de Merkel n'a été atténuée que par la perspective de la crise qui frapperait les banques allemandes, françaises et néerlandaises (qui avaient d'ailleurs honteusement accordé des financements sans couverture adéquate) en cas de défaut de la Grèce. La Grèce, elle, a été soumise à une politique d'austérité dont les effets économiques et sociaux se font encore sentir aujourd'hui. Le modèle Merkel en Europe a généré des conflits intereuropéens permanents et a contribué à une augmentation considérable des inégalités politiques entre les États et des inégalités sociales au sein des États membres de l'UE.

Dans l'UE, l'Allemagne a fait passer son expansion économique avant les politiques de solidarité interétatique et de respect des droits de l'homme. Les intérêts gouvernementaux (y compris électoraux) des États dominants (l'Allemagne et ses satellites, ainsi que la France) ont prévalu sur la nature supranationale de l'UE.

L'Allemagne a mené une politique d'expansion économique dans les anciens pays du Pacte de Varsovie, mise en œuvre par des délocalisations industrielles et des acquisitions des structures de production de ces pays. Les pays d'Europe de l'Est sont devenus membres de l'UE, avec la perspective de rejoindre l'OTAN. Par conséquent, ces pays sont aujourd'hui dépendants des États-Unis, tant d'un point de vue énergétique que stratégico-militaire. Ils accueillent des centaines de bases militaires de l'OTAN disséminées le long de leurs frontières orientales, dans une hostilité ouverte envers la Russie. La position pro-américaine adoptée par les pays d'Europe de l'Est constitue donc un obstacle permanent dans les relations entre la Russie et l'Europe. En outre, il y a eu des conflits évidents entre ces pays et les institutions de l'UE au fil du temps. Le statut de protectorat économique de l'Allemagne a souvent empêché l'UE d'imposer des sanctions à ces pays pour violation des lois européennes sur les droits de l'homme et le dumping industriel. Ce n'est pas un hasard si la politique de Mme Merkel a été baptisée "merkentilisme".

L'accueil d'un million de réfugiés syriens en Allemagne en 2015 s'est avéré être non seulement une mesure humanitaire, mais aussi une manœuvre économiquement bénéfique, car une main-d'œuvre bon marché a été importée pour être employée dans l'industrie allemande. En outre, la fermeture ultérieure à la vague migratoire a été réalisée en fournissant des fonds importants à la Turquie d'Erdogan pour garder les migrants sur son territoire. Le pacte avec Erdogan a donné à ce dernier une arme mortelle de chantage politique à laquelle l'Europe est toujours exposée. En ce qui concerne les flux migratoires en provenance de la Méditerranée auxquels l'Italie est exposée, l'UE s'est distinguée par son désintérêt flagrant.

L'Allemagne, entre puissance économique et insignifiance géopolitique

Avec les élections allemandes et le changement de structure gouvernementale qui aura inévitablement lieu, il faut s'attendre à ce que la politique allemande ne subisse pas de changements significatifs par rapport à la ligne Merkel. En fait, sous l'ère Merkel, l'Allemagne a toujours réaffirmé sa fidélité au pacte atlantique, en maintenant le bouclier militaire américain. L'Allemagne est également en bons termes avec la Russie en raison de sa dépendance énergétique. Ses relations économiques avec la Chine, qui est devenue son principal partenaire commercial, sont également très importantes.

Il convient toutefois de noter que la subordination de l'Allemagne et de l'Europe aux États-Unis, en vertu du Pacte atlantique, a signifié qu'au cours des 20 dernières années, elles ont été impliquées dans les guerres expansionnistes américaines en Irak, en Afghanistan et dans d'autres pays, partageant les résultats désastreux. Sans parler des dommages causés aux investissements européens par les sanctions imposées par les États-Unis à la suite des embargos commerciaux contre l'Iran et la Russie.

Nous assistons aujourd'hui à un changement profond des perspectives géopolitiques de l'Amérique, et la politique allemande et européenne apparaît dès lors inadaptée face aux nouveaux horizons de la nouvelle géopolitique mondiale. L'Allemagne et l'Europe ont délégué leur défense à l'OTAN, mais la politique de désengagement américain en Europe est désormais évidente. Toutefois, les États-Unis ont exprimé leur opposition ouverte à tout projet de défense européenne commune. En effet, la création d'une armée européenne commune ne serait pas compatible avec l'appartenance de l'Europe à l'OTAN, dont la politique d'endiguement de la Russie ne peut être conciliée avec les intérêts économiques et géopolitiques européens.

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L'Allemagne est une puissance économique, mais elle n'est absolument pas pertinente d'un point de vue géopolitique. La nécessité d'une souveraineté géopolitique unifiée de l'Europe, associée à une autonomie technologique européenne, est constamment exprimée dans les forums institutionnels européens. Mais le peuple allemand, comme ses dirigeants, s'est toujours déclaré réfractaire à toute perspective de politique de puissance. Les limbes géopolitiques dans lesquelles se trouve l'Allemagne d'aujourd'hui, en tant que garantie de prospérité et de sécurité, rendent l'Allemagne comparable à une sorte de Grande Suisse, riche, solide, mais sans intérêt. Ce paresseux allemand est d'ailleurs cautionné par les États-Unis. Federico Fubini, dans le Corriere della Sera, a déclaré: "Mais il y a une question que les politiciens ne semblent pas se poser : que faire si nous ne voulons pas ? Et si les sociétés allemandes, italiennes et autres sociétés européennes de premier plan avaient la Suisse pour modèle ? Nous connaissons la Suisse: une démocratie solide, une civilisation laïque, ouverte et dynamique. Et sans intérêt. Elle profite des avantages de la mondialisation sans être réellement impliquée dans les affaires mondiales. Et si les Allemands voulaient devenir sur la scène internationale, avec nous tous, ce que la Suisse est pour l'Europe ?".

Toutefois, il est très peu probable que l'"introversion allemande" (telle que définie par Dario Fabbri dans Limes) se poursuive dans un avenir proche, face aux transformations de la géopolitique mondiale actuelle, au-delà de la volonté des dirigeants et de l'électorat allemands. Les changements profonds de la stratégie géopolitique américaine imposent des choix que ni l'Allemagne ni l'Europe ne peuvent éviter. Les États-Unis se sont lancés dans une stratégie globale d'endiguement vis-à-vis de la Chine et de la Russie. Les stratégies américaines sont actuellement concentrées dans le Pacifique. Le récent pacte de sécurité trilatéral entre l'Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis (AUKUS), en tant qu'alliance militaire visant à contrer l'influence de la Chine dans la région indo-pacifique, a exclu l'OTAN, dont la fonction, bien que destinée à contenir la Russie, est devenue secondaire.

En outre, les États-Unis veulent imposer à l'Allemagne et à l'UE une réduction drastique de leurs relations commerciales avec la Chine et contrer la dépendance énergétique de l'Europe vis-à-vis de la Russie. Il est clair que l'Allemagne ne pourra pas renoncer à ses milliers de milliards d'investissements dans ses relations avec la Chine, pas plus qu'elle ne pourra se passer des approvisionnements énergétiques russes. Mais il n'existe pas de stratégie allemande ou européenne pour contrer l'hégémonie américaine.

L'Allemagne se trouve donc dans un état d'infériorité. La politique de non-choix (idéologiquement camouflée par un pacifisme rhétorique et un conformisme écologiste rampant) et la subordination militaire et technologique de l'Europe aux États-Unis ont condamné l'Allemagne et l'Europe à la marginalité, à l'insignifiance géopolitique.

L'échec de la politique allemande de rigueur financière imposée à l'Europe se traduit par un manque d'investissement dans l'innovation technologique et la recherche scientifique. La pandémie a mis en évidence les lacunes structurelles de l'Europe. L'Europe s'est révélée dépendante de la technologie américaine et chinoise à l'ère de la révolution numérique et de la reconversion environnementale, ainsi que totalement inadaptée dans le domaine de la recherche, puisqu'elle n'a pas été en mesure de mettre en œuvre de manière autonome la production de son propre vaccin anti-coronavirus, ce qui l'a rendue dépendante des importations de vaccins produits aux États-Unis.

L'austérité est-elle de retour ?

Le nouveau gouvernement allemand (probablement une coalition du SPD, des Verts et des libéraux) sera-t-il moins extrémiste en matière de politique d'austérité ? Il convient toutefois de noter que l'opinion publique allemande (à l'exclusion de la minorité de Die Linke) est très majoritairement favorable à la politique de rigueur financière de Mme Merkel et opposée à tout mécanisme de mutualisation de la dette dans l'UE. Merkel, déjà opposée à la création d'euro-obligations et partisane fanatique du mythe de l'équilibre budgétaire, avec un pragmatisme imposé par la crise pandémique, a permis le lancement du NGEU, c'est-à-dire la création d'une dette commune. Toutefois, le NGEU est une mesure exceptionnelle et temporaire, qui n'a pas vocation à devenir structurelle, comme ce fut le cas aux États-Unis. À terme, cela sapera la croissance et la compétitivité de l'Europe vis-à-vis des États-Unis et des autres puissances économiques mondiales.

Le pacte de stabilité a été suspendu, tout comme le pacte fiscal, mais ils ne seront certainement pas abrogés, et leur nécessaire réforme ne verra pas le jour. Au contraire, l'Allemagne et ses satellites ont exprimé à plusieurs reprises la nécessité d'un rétablissement rapide de ces règles financières strictes. Cependant, toute décision à ce sujet a été reportée pour l'instant. Ce qui est certain, c'est qu'un retour à l'austérité tuerait dans l'œuf la reprise européenne. Les sociaux-démocrates, qui ont été les alliés de Mme Merkel au sein du gouvernement pendant 16 ans, ne se sont jamais prononcés en faveur d'un changement de cap. Sur le possible retour de l'austérité, dans une interview de Franco Bechis sur "il sussidiario.net", Giulio Sapelli a déclaré : "Je le crains. Aucun parti n'a promis dans son programme de renégocier les traités, à l'exception de Die Linke qui, pourtant, est contre l'OTAN et n'est pas sacrifiable pour la cause. Les autres sont pour le statu quo. Un nouvel échec de la social-démocratie allemande. Le premier a été le oui au référendum sur la réunification. Aujourd'hui, sa rédemption dépend d'une sortie lente et progressive de la déflation séculaire, mais personne n'a le courage de l'assumer.

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Dans le nouveau gouvernement de coalition, il y a les libéraux, et le "faucon" Christian Lindner, qui a été désigné comme futur ministre de l'économie, demande une réforme qui rendrait les règles du pacte de stabilité encore plus strictes. Cependant, il est impensable que, quelle que soit la couleur politique des gouvernements, l'Allemagne renonce à son rôle dominant dans l'UE et à la rigueur financière comme instrument de domination.
Il convient également de noter que seule une petite partie des fonds du NGEU a encore été déboursée, et qu'il faut donc s'attendre à ce que la rigidité allemande en matière de garanties et de conditionnalité des financements s'accentue. Toute restriction sur le versement des fonds NGEU et la réduction tant redoutée des problèmes de liquidité par la BCE conduiraient non seulement à l'implosion de l'UE, mais aussi à l'effondrement du système industriel en Italie, en Espagne et même en France. Le conflit intra-européen va s'accentuer, mais l'interdépendance entre les économies européennes reste nécessaire à la survie de la suprématie allemande.

La limite de la puissance allemande consiste précisément en son unilatéralisme absolu, qui exclut toute évolution du processus d'unification européenne dans une direction démocratique et solidaire. Cet unilatéralisme pourrait en outre provoquer à long terme une crise systémique en Allemagne même, aux conséquences imprévisibles.

L'Allemagne et la crise de la démocratie à l'Ouest

Les élections allemandes ont non seulement marqué la fin de l'ère Merkel, mais aussi la fin d'un système politique caractérisé par la bipolarité CDU/CSU - SPD. Comme dans tous les pays occidentaux, le cadre politique allemand issu des dernières élections est fragmenté. Un gouvernement de coalition (SPD - Verts - Libéraux) est une perspective totalement nouvelle pour l'Allemagne. Il s'agira presque certainement d'un gouvernement faible, résultant de médiations et de compromis dans sa ligne politique.

L'Allemagne, comme tout l'Occident, est depuis longtemps affligée d'une crise de gouvernabilité et de représentativité de la classe politique.

L'Allemagne de l'ère Merkel a été gouvernée par de larges coalitions d'unité nationale. Au cours des 16 années de la chancellerie, un certain nombre de scandales flagrants ont éclaté, tels que le Dieselgate, la Deutsche Bank, Wirecard et Siemens, qui ont révélé la dissimulation par le gouvernement du système financier et industriel allemand. À plusieurs reprises, la classe politique et l'économie allemandes ont subi de graves crises de crédibilité internationale.

En réalité, ces gouvernements d'unité nationale (et l'actuel gouvernement Draghi en Italie en est un exemple paradigmatique) représentent la fin de la dialectique démocratique qui s'articule dans la confrontation/le choc entre majorités et oppositions. Mais surtout, les systèmes libéraux-démocratiques souffrent d'une profonde crise de représentativité, étant donné la dévolution d'une grande partie de leur souveraineté économique et politique à des organismes technocratiques-financiers supranationaux, qui imposent leurs directives indépendamment du consensus populaire et du débat politique démocratique. Le déficit démocratique en Occident peut être identifié à l'absence de participation politique, et la gouvernabilité des États est de plus en plus précaire et incertaine.

En Allemagne, comme dans presque toute l'Europe, le régionalisme s'affirme comme l'expression de la prévalence des intérêts locaux sur les intérêts nationaux, compte tenu de l'écart de développement et de bien-être entre les différentes régions de chaque État. Le régionalisme est un élément de la dissolution des États. Ce phénomène, déjà évident dans des pays comme l'Espagne et la Grande-Bretagne (qui sont déjà dans un état de décomposition avancé), pourrait s'étendre au point de conduire à l'éclatement de nombreux États européens. Le virus sécessionniste des petites patries régionales, avec l'érosion des unités nationales des États, pourrait conduire à la dissolution d'une Europe qui, au lieu de représenter un idéal d'unité entre les peuples et les États, a elle-même généré les germes de sa décomposition.
         

vendredi, 01 octobre 2021

L’OTAN et sa projection AUKUS

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L’OTAN et sa projection AUKUS

par Georges FELTIN-TRACOL

François Hollande n’a jamais eu de chance. Tout ce qu’il a entrepris en tant que président de la République vire au fiasco en cascade. L’annulation surprise par l’Australie du contrat mirobolant de vente de sous-marins en est un nouvel exemple. Le désaveu est aussi cinglant pour l’actuel ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, qui l’avait négocié en tant que ministre de la Défense. Mortifié par la décision du Premier ministre australien Scott Morrison, Emmanuel Macron a ordonné le rappel immédiat et pour une durée indéterminée des ambassadeurs français en poste à Canberra et à Washington. En effet, l’Australie préfère la livraison de sous-marins à propulsion nucléaire de fabrication étatsunienne.

Doit-on être surpris de ce choix qui prouve le double discours anglo-saxon ? Certes, ce matériel n’entre pas dans le cadre du traité de non-prolifération nucléaire signé par l’Australie. Mais si la Chine avait donné le même type d’engin à Téhéran ou à Pyongyang, Washington aurait dénoncé un manquement grave aux traités internationaux.

Ce nouveau coup de Trafalgar présente plusieurs avantages pour l’Anglosphère. Il fragilise d’abord tout développement d’une industrie de défense française et européenne émancipée des États-Unis. La Suisse préfère acheter les avions de combat de l’Oncle Sam plutôt que des Rafale bien plus performants. Les Britanniques taclent le gouvernement français au moment où s’accentuent les tensions à propos des traversées clandestines de migrants et des zones de pêche dans la Manche. Dans la perspective du troisième référendum d’autodétermination du 12 décembre prochain en Nouvelle-Calédonie, les Anglo-Saxons travaillent à la fin de la présence française en Océanie. Ils encouragent en sous-main les indépendantismes kanak et polynésien et favorisent la prolifération des sectes évangéliques sur place.

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L’annulation du contrat français consacre enfin la nouvelle alliance appelée AUKUS en raison des initiales anglaises de ses membres. Cette nouvelle « Triple Alliance » belliciste des antipodes vise à contrer l’activisme diplomatique chinois en Océanie aux dépens de Taïwan. Elle regroupe l’Australie, les États-Unis qui ont dans la région l’île de Guam, les Samoa américains, et la fédération des îles Marianne du Nord, et la Grande-Bretagne présente dans le Pacifique-Sud par, d’un côté, sa possession autonome de Pitcairn et, d’un autre, par des États du Commonwealth (îles Salomon, Samoa occidentales, Karibati, Tuvalu, Nauru, Vanuatu et les Fidji). La conclusion de ce pacte est le premier succès diplomatique engrangé d’un Royaume-Uni hors du carcan bruxellois. Quant à l’Australie, elle a l’habitude de suivre Washington. Des troupes australiennes ont combattu au Vietnam et en Irak.

Rendu public le 15 septembre 2021, le pacte ANKUS se substitue au traité de sécurité militaire dans le Pacifique signé à San Francisco le 1er septembre 1951 entre l’Australie, les États-Unis et la Nouvelle-Zélande appelé ANZUS. Il cessa de fait en août 1986 quand les États-Unis suspendirent leur engagement à l’égard de la Nouvelle-Zélande travailliste, écologiste et pacifiste, qui refuse depuis l’accueil dans ses ports de tout bâtiment nucléaire. À l’échelle de l’aire Asie – Pacifique, AUKUS devient la clé de voûte stratégique d’une coopération militaire esquissée autour du QUAD (Groupe quadrilatéral de coordination de la défense) qui rassemble les États-Unis, l’Australie, le Japon et l’Inde. Il s’agit d’un retour partiel à l’OTASE (Organisation du traité de l’Asie du Sud-Est) qui, de 1954 à 1977, réunissait dans une volonté de contrer l’URSS et la Chine populaire l’Australie, les États-Unis, la Grande-Bretagne, la Nouvelle-Zélande, les Philippines, la Thaïlande et le Pakistan qui s’en retira en 1973. Ces nouvelles manigances géo-diplomatiques entendent maintenant contenir la Chine, la Russie et la Corée du Nord, voire le Myanmar…

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Il faut par ailleurs rapprocher ces deux dispositifs asiatique et océanien à l’échelle intercontinentale avec les « accords d’Abraham » conclus en 2020. La reconnaissance de l’État d’Israël par des pays arabes et musulmans comme Bahreïn, les Émirats arabes unis, le Maroc et le Soudan qui rejoignent l’Égypte et la Jordanie, renouvelle avec de nouveaux partenaires le fameux « Pacte de Bagdad » du 24 février 1955 signé entre la Turquie et l’Irak et qui devint avec l’adhésion du Royaume-Uni, de l’Iran et du Pakistan la CENTO (ou Organisation du traité central) disparue en 1979. Les accords d’Abraham s’opposent au jeu régional de l’Iran, de l’Irak, de la Turquie, de la Syrie, de la Russie et de l’Afghanistan.

AUKUS et accords d’Abraham participent ainsi au projet géopolitique mondial des néo-conservateurs. Le pacte AUKUS renforce les liens étroits tissés entre les services de renseignement, civils et militaires, étatsuniens, britanniques, australiens, néo-zélandais et canadiens au cours du dernier demi-siècle dans le cadre des Five Eyes (les « Cinq Yeux »). Il offre à l’OTAN aujourd’hui composée de trente membres parmi lesquels la Slovaquie, le Monténégro, la Macédoine du Nord ou l’Albanie bien connus pour leurs magnifiques plages donnant sur l’Atlantique, une dimension planétaire. George W. Bush rêvait que le Japon ou l’Australie, déjà liés dans le cadre du « Partenariat global » otanien, intégrassent une « OTAN globale ». La France de Jacques Chirac s’y opposa fermement et fit capoter l’extension planétaire de l’organisation atlantiste. Elle en paie désormais le prix.

Paris aura beau réclamer une armée européenne; cela restera un vœu pieux. Les dirigeants des États-membres de l’Union dite européenne restent les fidèles laquais de l’Alliance Atlantique. Les réseaux atlantistes occupent par ailleurs une place non négligeable dans la haute-administration, la presse, les affaires, la haute-hiérarchie militaire et le personnel politicien ainsi que dans les banlieues de l’immigration. Les gesticulations diplomatiques françaises expriment surtout une vaine déception colérique. De plus en plus dépendant de la logistique étatsunienne, l’Hexagone ne peut plus se permettre de rompre avec l’Ogre atlantiste. Qu’Emmanuel Macron le comprenne bien, la gifle australienne qu’il vient de recevoir n’est que la première d’une longue série de baffes diplomatiques.  

  • « Vigie d’un monde en ébullition », n° 3, mise en ligne le 28 septembre 2021 sur Radio Méridien Zéro.

Alexandre Douguine sur les résultats des élections au Bundestag: "La politique allemande est caractérisée par la haine de soi"

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Alexandre Douguine sur les résultats des élections au Bundestag: "La politique allemande est caractérisée par la haine de soi"

L'élection du Bundestag qui s'est tenue dimanche met fin à l'ère d'Angela Merkel. Dans une interview exclusive accordée à RT DE, le philosophe russe Alexandre Douguine commente les résultats des élections et leurs conséquences sur les relations russo-allemandes.

Source : Sputnik © ALEXANDER WILF & https://de.rt.com/inland/124923-alexander-dugin-ueber-ergebnisse-der-bundestagswahl/?fbclid=IwAR3v-qVX7Z_Qa_ijZjG2uSti0S2-ilnqKTd2dmgfHqZ5Az_6dpPynsy7zu0

Après les élections du Bundestag de dimanche, RT DE s'est entretenu avec le philosophe, politologue et sociologue russe Alexander Dugin. Dans une interview exclusive accordée à la chaîne, l'homme de 59 ans a commenté les résultats des élections et leurs conséquences sur les relations germano-russes. Le politologue a qualifié les dernières élections au Bundestag d'inhabituelles. Il a souligné la défaite "colossale" de la CDU et de la CSU. Le résultat, a-t-il dit, est un coup dur pour le centre-droit et les libéraux de droite avec lesquels la Russie entretenait de bonnes relations. Dans le même temps, M. Dugin a rappelé que les relations bilatérales avaient été encore meilleures sous la chancellerie de l'homme politique du SPD, Gerhard Schröder.

    "Les relations entre la Russie et l'Allemagne ont une dimension beaucoup plus profonde et vont au-delà de telle ou telle coalition gouvernementale."

Selon Dugin, seul un événement extraordinaire, tel qu'une victoire des Verts, que beaucoup avaient prédite, pourrait radicalement détériorer cette relation. Le politologue a décrit Annalena Baerbock comme une représentante du mouvement de l'investisseur américain George Soros et a accusé son parti d'être beaucoup plus mondialiste que vert. Dugin a notamment souligné que les Verts s'étaient prononcés contre le gazoduc Nord Stream 2.

    "Les sociaux-démocrates, qui ont maintenant gagné, et la CDU/CSU représentent une continuation du statu quo pour la Russie."

Dans sa conversation avec RT DE, le philosophe a partagé que les relations entre la Russie et l'Allemagne étaient pourtant tout sauf merveilleuses. Il a cité comme raison la dépendance de la politique étrangère allemande vis-à-vis du gouvernement américain, malgré la force économique du pays et sa sympathie pour la Russie.

    "L'Allemagne est totalement dépendante de la politique américaine. Ce n'est pas un État souverain. <...> A cet égard, c'est en quelque sorte un territoire occupé jusqu'à présent."

M. Douguine a décrit la présence militaire américaine en Allemagne comme la poursuite de l'occupation d'après-guerre, malgré le retrait des troupes soviétiques. Bien que l'Allemagne tente de défendre ses intérêts économiques, elle n'y parvient que partiellement, a-t-il déclaré. Se référant à plusieurs collègues, le penseur a informé que le pays faisait face à une période de turbulence avec une possible crise politique et sociale. Trop de contradictions se sont accumulées, a-t-il dit.

    "Les Allemands sont en effet très chaotiques. Tout leur ordre découle du fait qu'ils le savent et qu'ils ont une peur terrible de ce chaos."

Le politologue a également commenté le sort du soi-disant continentalisme européen sous le règne d'Angela Merkel en tant que chancelière allemande. Dugin a souligné que les positions du continentalisme avaient été plus fortes sous Schröder. Dans le contexte de la guerre en Irak en 2003, l'axe Paris-Berlin-Moscou avait émergé, mais il a ensuite été détruit par les "atlantistes". Sous Merkel, le continentalisme avait fait quelques pas en arrière. Bien que la Chancelière ait tenté d'aplanir certains courants, elle s'est trouvée dans le sillage de l'atlantisme américain et d'un politicien "docile". Les tendances continentalistes, en revanche, se retrouvent au sein du SPD, de la gauche et de l'AfD.

M. Dugin a également expliqué la perte de voix de l'AfD, alors que lui-même avait précédemment prédit une remontée du parti. L'AfD a remis en question le consensus des élites libérales pro-occidentales, marchant sur une corde raide en étant accusé d'extrémisme. Cependant, l'AfD est profondément bourgeoise.

    "Le bourgeois allemand est tout simplement à bout de patience parfois. C'est pour cela qu'il doit formuler ses opinions de manière beaucoup plus dure, et c'est pour cela qu'il vote pour l'AfD."

Cependant, ce parti avait commencé à s'effriter et n'avait pas réussi à trouver un modèle idéologique plausible. Il n'avait pas utilisé sa chance et avait perdu des voix à cause de conflits internes. En même temps, Dugin a exprimé l'opinion que l'Allemagne a besoin d'un tel parti qui critique le libéralisme, l'atlantisme et la mondialisation. Au cours de la période de turbulence à venir, a-t-il déclaré, l'AfD renforcera ses positions si elle est assez intelligente pour saisir sa chance.

Dans son interview exclusive avec RT DE, le philosophe a également commenté le nombre record de votes pour les Verts. Dans ce contexte, il a décrit la protection de l'environnement comme le dernier refuge des politiciens qui n'ont rien à dire.

    "L'absence absolue de philosophie politique est remplacée par des idées simplistes sur la nécessité de protéger l'environnement."

Dugin a lié le succès des Verts à l'infantilisme, à la myopie et à l'hystérie. Le politologue s'est réjoui que le résultat des Verts ait été plus modeste que prévu. S'ils arrivaient au pouvoir, il n'y aurait plus du tout de politique internationale en Allemagne. Pour la Russie, le renforcement de leurs positions serait tout sauf positif. Le politologue a comparé le comportement des Verts au fascisme. En Allemagne, le fascisme, par sa recherche excessive d'ordre et de rationalité, a finalement dégénéré en folie nationaliste.

    "Aujourd'hui, c'est l'inverse : l'idée de liberté, de détente, d'humanité, de charité, ainsi que l'indulgence pour les vices et les maladies, en vertu de la même intempérance allemande, conduisent désormais au pôle opposé."

Puisque les Verts sont, entre autres, contre le gazoduc Nord Stream 2, rien de bon ne peut être prévu pour les relations bilatérales avec la Russie dans le cas de leur gouvernement. Selon Dugin, le projet est bénéfique à la fois pour Berlin et pour Moscou. L'industrie allemande a besoin des ressources naturelles russes pour maintenir le statu quo dans l'économie et le rythme de la croissance.

Dugin a décrit les relations entre Washington et Berlin comme n'étant pas un dialogue égalitaire. Il a déclaré que le gouvernement américain traite l'Allemagne comme une colonie qui a longtemps été économiquement autonome et indépendante.

    "C'est précisément cette contradiction qui conditionne la relation américano-allemande. Les Allemands paieraient un prix élevé pour accroître ne serait-ce qu'un peu leur souveraineté, mais les Américains les tiennent comme George Floyd a été tenu un jour au point de ne plus pouvoir respirer."

Cette contradiction est tout sauf saine, dit-il. Après la Seconde Guerre mondiale, a-t-il dit, l'idéologie allemande voulait que le peuple allemand déteste tout ce qui est allemand. Douguine a appelé ce phénomène "politique de la haine de soi". Cette contradiction caractérise également les relations entre Berlin et Moscou. On ne peut que plaindre l'Allemagne dans cette situation, d'autant qu'elle souffre déjà d'une sorte de syndrome de Stockholm.

jeudi, 30 septembre 2021

Le pacte entre la France et la Grèce: l'Aukus de Macron en Méditerranée

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Le pacte entre la France et la Grèce: l'Aukus de Macron en Méditerranée

Lorenzo Vita

Ex: https://it.insideover.com/difesa/il-patto-tra-francia-e-grecia-la-aukus-di-macron-nel-mediterraneo.html

L'accord entre la France et la Grèce intervient après des semaines de négociations et des mois d'approches. L'accord a été fortement soutenu par le Premier ministre grec, Kyriakos Mitsotakis, et le Président français, Emmanuel Macron, pour des raisons différentes mais convergentes. Athènes voulait montrer à la Turquie qu'elle avait un allié solide derrière elle, prêt à intervenir pour la défendre en cas d'"ingérence" grave d'Ankara en mer Égée et en Méditerranée orientale. Paris, pour sa part, a dû réaliser un coup de marché pour couvrir (mais pas de la même manière) la perte du contrat avec l'Australie pour les sous-marins, anéanti à cause d'Aukus. Et elle l'a fait en plaçant trois frégates entre les mains de la marine grecque, qui depuis un certain temps avait inscrit sur sa liste d'achats le désir de renforcer sa flotte, comme elle l'avait déjà fait avec les chasseurs Rafale (également fabriqués en France) dans le ciel. Tout cela, il faut le rappeler, en subvertissant même les analyses qui donnaient la proposition italienne comme la meilleure. Comme le précise RID, cela peut également être un signe de la pression politique exercée par Paris après l'échec du contrat pour les sous-marins australiens. Mais elle montre aussi combien il est difficile d'évaluer les frictions entre la France et les Etats-Unis quand on espère s'insérer trop facilement dans leurs diatribes.

Les caisses françaises reçoivent près de trois milliards d'euros, ce qui ne fait certainement pas de mal après la fin du "contrat du siècle" de Naval Group avec la marine de Canberra. Mais ce qui est également important, c'est le signal politique d'une synergie, celle avec la Grèce, qui est en train de se cimenter en quelque chose de très similaire à une alliance stratégique parallèle aux organisations auxquelles les deux pays appartiennent, à savoir l'OTAN et l'Union européenne.

Selon l'accord conclu à Paris, il y a deux éléments à prendre en compte. Le premier est d'ordre technique: il s'agit de la livraison de trois frégates de classe FTI (Belharra est le nom donné aux unités vendues à l'étranger) et de l'option pour une quatrième. Les frégates seront également compatibles pour fonctionner précisément avec le Rafale vendu par la France dans le cadre d'un accord signé au cours des mois précédents par les deux gouvernements et qui a récemment été prolongé par de nouvelles fournitures.

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Les navires seront également équipés de systèmes anti-aériens et anti-sous-marins français (les navires seront construits de l'autre côté des Alpes), et les corvettes Goodwin pourraient être ajoutées prochainement. Ce contrat est donc important non seulement sur le plan économique, mais aussi sur le plan opérationnel: la force de défense grecque sera parfaitement compatible avec la force de défense française dans le déploiement aéronautique des prochaines années.

Le deuxième élément, outre l'élément technique, est bien sûr l'élément stratégique. Car en plus du renforcement de la flotte grecque, une clause d'aide mutuelle a été incluse qui est inévitablement orientée vers la protection de la Grèce. Dans l'accord - c'est ce qu'ont dit des sources gouvernementales rapportées par Το Βήμα et l'agence Mpa - il y a une garantie d'intervention en cas d'attaques de pays tiers, même s'ils font partie d'alliances dans lesquelles Athènes et Paris sont impliqués. Une façon de ne pas dire "Turquie", qui devient à ce stade le véritable adversaire d'une alliance franco-hellénique qui veut toucher, et touchera, la Méditerranée orientale. Et cette défense mutuelle est complétée par une série d'initiatives bilatérales visant à favoriser une synergie totale entre les deux gouvernements en Méditerranée orientale, en matière de sécurité maritime et dans les secteurs de la défense européenne commune.

Si la démarche est essentielle pour la Grèce en tant que frein aux ambitions turques et comme signal aux autres acteurs méditerranéens, elle est surtout importante en termes de stratégie française. La sortie de Macron de cet accord a un double objectif : d'une part, rafraîchir les caisses de Naval Group après la "claque" australienne, et d'autre part, se montrer comme le metteur en scène de cette autonomie stratégique européenne qui, traduite en termes beaucoup plus pragmatiques, ne signifie pour la France que la concrétisation de son désir de diriger certains secteurs de la défense du Vieux Continent.

En dehors des ambitions européistes, l'Elysée n'a jamais caché qu'il considère l'UE comme un multiplicateur de force. Et il est clair que tout cela, s'il est fait en synergie avec l'OTAN, plutôt que de renforcer l'autonomie stratégique de l'Europe, servira surtout à renforcer le cadre des alliances françaises en Méditerranée orientale et au Moyen-Orient, qui va de la Grèce à Chypre et de l'Égypte aux Émirats arabes unis. Un axe qui se projette en Libye, mais qui regarde aussi vers le Sahel et les champs gaziers de la Méditerranée orientale. Ce bloc, devenu nécessairement anti-turc compte tenu de la présence simultanée des adversaires stratégiques d'Ankara, a donc vocation à protéger les intérêts de chacun mais surtout à démontrer la capacité de la France à construire un écran protecteur en Méditerranée tant pour ses propres intérêts que pour sa diplomatie. Là-bas, au Levant, il existe déjà une sorte de "zone d'influence" parisienne.

Pour l'instant, les États-Unis ont donné leur accord. Et ceci est en soi un signe de la manière dont, plutôt qu'une autonomie européenne par rapport à l'Alliance atlantique, la France et la Grèce ont simplement envisagé un système d'aide mutuelle conçu dans une perspective bilatérale et bien inséré dans l'OTAN. Un porte-parole du département d'État américain, comme le rappelle le journal grec Kathimerini, a tenu à rappeler que Washington dispose depuis longtemps d'un accord de coopération avec Athènes mis à jour en 2019 et que des "progrès significatifs" ont été réalisés en vue de son actualisation.

Emmanuel Macron, comme l'écrit La Tribune, a déclaré en même temps qu'il signait l'accord que celui-ci "est en parfaite cohérence et en pleine conformité avec nos engagements vis-à-vis de l'UE et de l'OTAN, renforçant son efficacité pour la protection de nos territoires et permettant d'agir de manière plus efficace et coordonnée". Et les dépenses militaires grecques, bien supérieures à la moyenne de l'UE, ont déjà été appréciées par Washington, qui a non seulement atteint le niveau de financement requis, mais a également reçu des garanties sur l'utilisation des bases.

Les États-Unis cherchent à construire le QUAD dont personne ne veut   

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Les États-Unis cherchent à construire le QUAD dont personne ne veut   

Salman Rafi Sheikh

Source: New Eastern Outlook & http://aurorasito.altervista.org/?p=20046

Si, pendant la guerre froide, les États-Unis ont divisé le monde entre le monde "libre", celui du capitalisme occidental, et le monde "proche" du communisme oriental pour se projeter comme le champion du monde "libre", la "guerre froide 2.0" utilise le même axiome pour désigner la Chine comme le meilleur exemple du monde "proche" que les pays du QUAD dirigés par les États-Unis doivent contenir pour établir l'Indo-Pacifique "libre".

Bien que Biden ait été catégorique lorsqu'il a affirmé, dans son discours à l'Assemblée générale des Nations unies, que les États-Unis ne souhaitaient pas une nouvelle guerre froide, l'alignement anti-chinois qu'ils cherchent à construire et à militariser par des accords tels que l'AUKUS, récemment révélé, indique une attitude globale sous-tendue par la compétition pour le pouvoir mondial qui a caractérisé la guerre froide. En blâmant la Chine sur un ton agressif, les États-Unis, sous la houlette de M. Biden, semblent concevoir un langage pour communiquer avec l'ANASE/l'Asie du Sud-Est et obtenir leur soutien contre la Chine en tant qu'alliés des États-Unis. La déclaration commune publiée par l'alliance QUAD indique que les pays membres s'engagent en faveur d'"une région qui constitue le fondement de notre sécurité et de notre prospérité communes, un Indo-Pacifique libre et ouvert, mais aussi "inclusif et résilient", ajoutant qu'"ensemble, nous nous engageons à nouveau à promouvoir un ordre libre, ouvert et fondé sur des règles, ancré dans le droit international et exempt de coercition, afin de renforcer la sécurité et la prospérité dans l'Indo-Pacifique et au-delà". S'adressant spécifiquement à l'ANASE, la déclaration indique que "nous réaffirmons notre soutien ferme à l'unité et à la centralité de l'ANASE et aux perspectives de l'ANASE sur l'Indo-Pacifique, et soulignons notre volonté de travailler avec l'ANASE et ses États membres, le cœur de la région Indo-Pacifique, de manière pratique et inclusive". Bien que la déclaration ne mentionne pas la Chine, l'accent mis par l'alliance QUAD sur l'Asie du Sud-Est montre comment le groupe cherche à faire contrepoids à la Chine plus directement qu'il ne l'a fait jusqu'à présent.

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Plus de rhétorique que d'action

Toutefois, si l'on examine de plus près le QUAD, il apparaît clairement que la première réunion soi-disant "historique" des dirigeants n'a donné lieu qu'à de vagues déclarations et engagements. L'absence de mesures concrètes ne fait pas que maintenir la QUAD en tant que groupe sans unité stratégique interne, mais montre également comment les pays membres, même s'ils sont préoccupés par la Chine, continuent d'éviter de prendre le train en marche des États-Unis pour résoudre leurs problèmes avec la Chine. La seule mesure concrète que l'on trouve dans la déclaration est que QUAD s'est lancé dans la "Quad Fellowship", un programme éducatif qui "fournira 100 bourses d'études supérieures à des étudiants de premier plan en sciences, technologie, ingénierie et mathématiques dans nos quatre pays".

Au-delà de cette fraternité, un regard même superficiel sur la déclaration montre un engagement rhétorique de ces pays à prendre des mesures à l'avenir. Pour l'instant, la QUAD est rapidement entrée en hibernation, car la plupart de ses membres ne partagent pas l'impératif américain de développer une politique étrangère pour s'ancrer dans le monde après l'humiliante défaite en Afghanistan. Par conséquent, il n'y a pas beaucoup d'États heureux de laisser les États-Unis les forcer à conclure une alliance inutile. Par exemple, la réaction à l'AUKUS est indicative. L'Indonésie, que les Australiens décrivent comme leur plus important partenaire en matière de sécurité, a exprimé sa profonde inquiétude à propos de l'accord, déclarant que le pays est " profondément préoccupé par la poursuite de la course aux armements et la projection de puissance dans la région ".

Le Premier ministre malaisien Ismail Sabri Yaakob a déclaré au Premier ministre australien Scott Morrison que "AUKUS pourrait inciter d'autres puissances à agir de manière plus agressive, notamment dans la région de la mer de Chine méridionale". Le secrétaire à la défense nationale des Philippines, Delfin Lorenzana, a souligné la neutralité de son pays à l'égard de l'AUKUS, déclarant que Manille souhaite maintenir de bonnes relations bilatérales en matière de défense avec tous les pays de la région.

De même, le manque d'enthousiasme qui continue de caractériser l'alliance QUAD n'est pas seulement dû au fait que la plupart des pays ne veulent pas devenir des partenaires des États-Unis dans leur "guerre froide 2.0", mais aussi au fait que le manque de vision ne permet pas aux pays membres d'imaginer les avantages potentiels ou réels que le groupement pourrait leur offrir pour leurs intérêts nationaux spécifiques. Cela est dû en grande partie au fait que les États-Unis tentent d'imaginer et de mettre en œuvre une politique bipolaire à un moment où le monde est déjà multipolaire.

L'Union européenne adopte de plus en plus des politiques qui ne s'alignent pas sur celles des États-Unis. Elle a sa propre stratégie de coopération dans la région indo-pacifique, ce qui signifie que les pays de la région ont le choix entre de nombreuses options pour construire leurs ponts. Pour eux, les États-Unis ne sont pas la seule option.

Outre l'UE, l'ANASE dispose de ses propres mécanismes régionaux et d'accords bilatéraux solides avec la Chine pour résoudre toute question d'intérêt mutuel ou de conflit. Une autre raison importante du manque d'intérêt des pays membres de l'alliance QUAD est que le groupe n'a aucun plan pour s'engager économiquement avec l'Indo-Pacifique, et encore moins pour s'engager de manière crédible. Il met l'accent sur un Indo-Pacifique "libre" et sur une approche militariste, ce qui contraste fortement avec l'initiative "Belt & Road" (BRI) de la Chine et le partenariat économique global régional (RCEP), le plus grand accord commercial jamais signé dans l'histoire. L'approche militarisée des États-Unis, évidente dans l'AUKUS, n'est certainement pas un accord auquel l'ANASE sera heureuse de souscrire pour protéger ses intérêts, puisque, quelle que soit la nature de ses liens avec la Chine, elle n'est confrontée à aucune menace militaire chinoise. L'ANASE, ainsi que d'autres pays comme l'Inde, n'ont aucune raison de faire monter la température dans la région en s'alliant officiellement avec un groupe qui cherche justement à faire cela : militariser le conflit.

Salman Rafi Sheikh, chercheur-analyste des relations internationales et des affaires étrangères et intérieures du Pakistan, en exclusivité pour le magazine en ligne "New Eastern Outlook".

Traduction par Alessandro Lattanzio

 

Les relations transatlantiques au miroir de l'Afghanistan

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Les relations transatlantiques au miroir de l'Afghanistan

Sergey Yermakov

Ex: https://katehon.com/ru/article/transatlanticheskie-otnosheniya-v-zerkale-afganistana

Un mois après que les passions, liées au retrait manqué des troupes américaines et de celles de l'OTAN qui viennent de quitter l'Afghanistan, se soient apaisées à Washington et dans les capitales européennes, il est intéressant d'évaluer les conséquences du fiasco afghan sur les relations transatlantiques. Il convient de noter que la situation dans ce pays a évolué de manière inattendue et trop rapide et cela, dans un sens négatif pour les Américains et l'OTAN. Le retrait des troupes restantes et l'évacuation des civils de Kaboul s'apparentaient davantage à une fuite. Cela a causé d'énormes dommages à l'image des États-Unis et a réactivé les sources cachées de tendances centrifuges dans leurs relations avec leurs alliés.

En août dernier, les réunions d'urgence du Conseil de l'Atlantique Nord, du Comité militaire de l'OTAN et des ministres des Affaires étrangères de l'Alliance ont été principalement consacrées à l'adoption de mesures urgentes visant à garantir l'évacuation en toute sécurité du personnel de l'OTAN et des membres affiliés de l'Alliance, plutôt qu'à l'élaboration d'une position unifiée des Alliés sur la question de l'Afghanistan. Au départ, les experts occidentaux étaient assez sceptiques quant à la capacité de l'alliance à s'adapter rapidement aux nouvelles circonstances, en raison du choc et de la désorientation dans lesquels les forces de l'OTAN s'étaient retrouvées après la prise de contrôle éclair par les talibans.

Il convient de noter que les Européens ont tendance à considérer l'échec de la mission de l'OTAN en Afghanistan non seulement comme l'effondrement d'une seule opération, mais aussi comme un facteur qui aura de graves conséquences géopolitiques pour l'Europe et le monde, aggravant encore la crise des relations transatlantiques. C'est notamment la conclusion à laquelle est parvenu N. Loiseau, président de la sous-commission sécurité et défense du Parlement européen, qui estime que les récents développements devraient inciter l'Europe à renforcer son "autonomie stratégique" afin de garantir sa capacité à agir avec ses alliés (tels que les États-Unis) lorsque cela est possible, et indépendamment lorsque cela est nécessaire.

Pour sa part, D. Keating, senior fellow au European Center de l'Atlantic Council (USA) et correspondant à Bruxelles de France 24, note que les Européens ont été pris au dépourvu par la décision américaine de retirer rapidement les troupes d'Afghanistan sans avoir une compréhension réaliste de la vulnérabilité du régime politique de Kaboul. Selon lui, un certain nombre de pays européens, tels que le Royaume-Uni et l'Italie, ont été fortement irrités par le fait que l'administration Biden n'a pas tenu compte de leur avis sur la précipitation de ce retrait, après que leur opposition au retrait ait été ignorée lors du sommet de l'OTAN en juin. Selon l'évaluation de l'expert européen, le retrait rapide et en fait mal coordonné d'Afghanistan, qui a conduit à l'effondrement du leadership pro-occidental dans ce pays, renforcera le débat à Bruxelles sur l'"autonomie stratégique" européenne et la nécessité de développer une capacité de défense européenne indépendante. Ces actions américaines soulèvent également des questions sur l'engagement de l'Amérique à protéger ses alliés et sur la question de savoir si l'OTAN est réellement une alliance d'États souverains - ou simplement un protectorat militaire dans lequel les véritables décisions sont prises par Washington seul.

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L'effondrement de la crédibilité de la politique étrangère américaine et des services de renseignement et militaires américains porte atteinte à l'autorité politique et morale de l'Occident dans son ensemble, déclare D. Schwarzer, directeur exécutif pour l'Europe et l'Eurasie à l'Open Society Foundations. Selon elle, l'exemple de l'Afghanistan démontre une trop grande dépendance des Européens à l'égard des États-Unis - et en même temps une trop faible prise en compte de leur point de vue à la Maison Blanche.

Dans le même temps, B. Masaes, ancien secrétaire d'État portugais aux affaires européennes, signale un grave problème pour l'Europe lié aux réfugiés d'Afghanistan. Selon ses évaluations, il existe un risque de nouvelles attaques terroristes contre l'Europe organisées à partir de ce pays. Masaes souligne également que la crise des réfugiés n'est qu'une partie de la destruction, voire de la désagrégation de l'ordre existant précipitée par les événements afghans. Selon lui, sous l'ancien président américain D. Trump, des doutes sont apparus sur l'engagement de l'Amérique envers ses alliés et ses engagements européens. Toutefois, l'analyste portugais estime que les événements afghans ont déjà jeté le doute sur la compétence américaine en tant que telle. Selon lui, la réponse ne peut être qu'une capacité européenne accrue à affronter seule un monde de plus en plus dangereux.

A son tour, M. Laschet, président de l'Union chrétienne-démocrate d'Allemagne et candidat à la chancellerie de centre-droit - a qualifié l'opération afghane de l'OTAN de "plus grand échec de l'alliance, qu'elle subit depuis sa fondation". Selon M. Laschet, une "analyse complète des erreurs" est nécessaire tant à Washington qu'à Bruxelles.

Les experts américains soutiennent de tout cœur l'avis de leurs collègues européens selon lequel les leçons de l'Afghanistan doivent être soigneusement étudiées. Par exemple, un analyste respecté du Centre d'études stratégiques et internationales de Washington, E. Cordesman, en parle dans son rapport. Cependant, il y a une nuance à apporter. Tout en admettant que l'absence de consultations complètes avec les partenaires de l'OTAN est inacceptable, l'analyste américain suggère néanmoins que l'Europe doit adopter une approche beaucoup plus réaliste de sa dépendance stratégique vis-à-vis des forces armées américaines. Par conséquent, les Européens devraient faire davantage pour améliorer leurs propres capacités militaires plutôt que de discuter du partage de la charge financière. Selon M. Cordesman, en réclamant une plus grande "autonomie stratégique", l'Europe devrait reconnaître qu'il n'existe pas aujourd'hui d'alternative européenne crédible à l'Alliance de l'Atlantique Nord. C'est pourquoi, selon lui, de nouvelles mesures sont nécessaires pour améliorer l'efficacité de l'OTAN et l'adapter aux nouveaux défis, plutôt que de détruire ce bloc, qui est pour l'instant irremplaçable.

Dans le même temps, l'analyste américain R. Ellehuys, qui a un temps dirigé le bureau de la politique européenne et des affaires de l'OTAN du département de la défense des États-Unis, estime qu'il est important de prêter attention à l'évaluation des conséquences négatives de la défaite afghane pour l'alliance. Il s'agit avant tout, selon elle, de saper la crédibilité de l'Alliance et d'accroître la menace terroriste qui pèse sur ses membres. Ellehuys et d'autres experts américains sont particulièrement préoccupés par la possibilité que les adversaires géopolitiques de l'OTAN utilisent le "syndrome afghan" pour discréditer et saper l'unité des alliés.

A cet égard, les experts occidentaux (par exemple, de l'Atlantic Council, de la RAND Corporation et d'autres) suggèrent à l'alliance de prendre des mesures urgentes d'information et de propagande permettant de justifier les actions américaines et de l'OTAN en Afghanistan, de calmer la société occidentale et de préserver l'unité des pays membres et la confiance dans l'organisation elle-même. Dans ces circonstances, par exemple, M.D. Williams, du Conseil atlantique, estime que dans la lutte pour la survie, le slogan moderne de l'OTAN devrait être l'appel "Pour la solidarité !" et non "Pour la sécurité !".

Dans le même temps, les experts américains faisant autorité estiment que les États-Unis doivent se préparer à une situation dans laquelle Washington devra compter non pas tant sur l'OTAN, mais plutôt sur une coalition de membres individuels intéressés de l'alliance qui représentent la plus grande valeur pour les Américains, pour résoudre leurs tâches stratégiques. L'application pratique de cette approche est visible dans la création de la nouvelle alliance militaro-politique entre les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie, AUKUS.

L'Alliance de l'Atlantique Nord, estiment les analystes américains, a besoin d'une nouvelle approche de la planification des forces, fondée sur une évaluation réaliste des menaces, des plans et des budgets clairs. L'OTAN doit analyser activement l'évolution des capacités des trois superpuissances mondiales et introduire un régime de consultation sur la menace croissante que représente la Chine, plutôt que de se concentrer uniquement sur la Russie ou les menaces terroristes qui pèsent sur l'Europe.

Ainsi, l'approche ajustée des États-Unis vis-à-vis de l'Afghanistan, malgré l'échec de la "sortie discrète" envisagée du pays, suggère que la tâche de démêler le nœud afghan soit laissée à d'autres États, en comptant également sur le fait qu'il deviendra un problème pour les adversaires géopolitiques des États-Unis, la Russie et la Chine. Washington prévoit d'utiliser les ressources libérées en Afghanistan pour la compétition avec eux pour le leadership mondial.

 

lundi, 27 septembre 2021

L'Amérique est en recul. Il est temps de passer à l'offensive

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L'Amérique est en recul. Il est temps de passer à l'offensive

Alexander Douguine

L'hégémon se ratatine et recule partout!

Les élections en Russie sont terminées. Et c'est une bonne chose. Nous pouvons maintenant revenir aux affaires étrangères. C'est la politique étrangère qui compte vraiment. Et dans cette politique étrangère, un changement extrêmement significatif et important est en plein essor.

Le monde unipolaire s'effondre sous nos yeux. Il est sur une trajectoire descendante depuis un certain temps (depuis le 11 septembre), mais c'est en cette année clé 2021, au milieu de l'interminable crise sanitaire du Covid, que se sont produits certains événements symboliques, rendant irréversible la fin de l'unipolarité.

Déjà, Trump acceptait implicitement un ordre multipolaire, en insistant uniquement sur un statut spécial pour les États-Unis. C'était un programme parfaitement rationnel et responsable. Mais Trump a été renversé. Et cela a été perpétré par des partisans fanatiques du même mondialisme que celui que Trump combattait chez lui.

Avec le soutien des mondialistes, Biden est parvenu au pouvoir et a annoncé la grande réinitialisation. Il faisait référence à un retour aux années 90, années "dorées" (pour les mondialistes et les libéraux). La mondialisation a eu quelques problèmes, ont-ils dit, mais nous allons maintenant les régler rapidement, remettre à leur place tous les prétendants à la multipolarité et continuer à régner sur l'humanité, en l'entraînant de plus en plus profondément dans un programme insensé - presque ouvertement satanique.

Biden est intervenu et Kiev a envoyé des troupes dans le Donbass, démontrant ainsi sa détermination à "assiéger les Russes". Mais dès que Moscou a effectué des manœuvres innocentes sur son propre territoire, Washington a fait marche arrière. Nous ne parlons pas de Kiev, ce n'est pas un sujet. La grande réinitialisation a été reportée.

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Et puis vient la fuite honteuse des États-Unis d'Afghanistan, alors qu'après 20 ans d'occupation brutale, les Américains n'ont même pas eu le temps d'emballer correctement leurs affaires (y compris leurs équipements militaires) et de renvoyer décemment leurs collaborateurs. Vers la fin, Biden tire un missile sur une voiture avec des enfants et s'en vante encore. Même Psaki a pâli devant les absurdités qu'elle a dû exprimer. L'Afghanistan est un embarras total pour l'Amérique.

Et dans la foulée, pour montrer qu'il est encore "wow", le pathétique et sénile Joe proclame l'axe anglo-saxon AUKUS, en scellant des traités avec l'Australie et en rayant d'un trait de plume les fournitures militaires françaises et italiennes (d'ailleurs, on l'oublie souvent) sur lesquelles Paris et Rome comptaient beaucoup, il détruit ainsi la cohésion de l'OTAN.  En réponse, le rappel sans précédent de l'ambassadeur de France à Washington s'ensuivit. Si l'UE comprend l'enjeu de tout cela, c'est que les autorités américaines ont tout simplement perdu la tête.

Voyons maintenant ce qui se passe aux États-Unis mêmes.

Tout d'abord, Biden agit dans un contexte où l'on sait que la moitié de la population le déteste (pour une élection volée et une dictature libérale intolérante) et que tout ce qu'il fait est accueilli avec hostilité. Et dès qu'il commet une erreur - comme en Afghanistan et en Australie, sans parler de la situation totalement foireuse avec les migrants à la frontière sud des États-Unis, non seulement il commet une faute, mais il se fourvoie de manière répétée et démontrable - ses adversaires s'en emparent immédiatement, la font exploser, et commencent déjà à préparer la destitution.

Mais c'est la moitié du problème. Les mondialistes eux-mêmes qui soutiennent Biden sont divisés en droitiers et gauchistes, en faucons néoconservateurs et en ultra-démocrates avec un programme d'idéologie LGBT et de "marxisme culturel". Les néoconservateurs sont furieux du retrait de l'Afghanistan et des promesses de M. Biden de retirer les troupes du Moyen-Orient, en particulier de la Syrie et de l'Irak.  En plus de sa lâcheté flagrante en Ukraine, Biden a déjà fait de son mieux pour s'aliéner la moitié de l'élite qui le soutient - les faucons.

Il semblerait que ce soit la gauche mondialiste qui devrait se réjouir. Oui, ils ont été globalement indulgents envers le retrait des troupes d'Afghanistan, mais personne aux États-Unis n'ose justifier la manière dont cela a été fait.

Mais Biden s'est ensuite souvenu des néoconservateurs et a créé, pour les amadouer, une nouvelle alliance stratégique anglo-saxonne, AUKUS (Australie, Royaume-Uni, États-Unis), écartant sans ménagement l'Europe. Il le fait sous l'égide de la guerre imminente avec la Chine dans le Pacifique. C'est là que les mondialistes de gauche se sont indignés. L'UE n'a rien contre la Chine du tout, et les mondialistes de gauche aux États-Unis essaient même d'utiliser le décollage économique de la Chine dans leurs stratégies. Pourtant, Biden l'ignore et crée AUKUS. Un tel coup porté à l'OTAN, avec en toile de fond le renforcement de la souveraineté de la Russie et du même Cathay, l'indépendance croissante de la Turquie, de l'Iran, du Pakistan, ainsi que de certains pays arabes et africains (une série de coups d'État en Afrique est également un phénomène très intéressant, nécessitant une évaluation géopolitique) - n'aboutit qu'à un affaiblissement brutal de l'élite libérale mondiale, divisée sous leurs yeux le long de la ligne - Anglo-Saxons/Européens et autres "alliés" oubliés.

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Biden a déjà réussi à frustrer la droite et la gauche mondialistes de cette manière, au milieu d'un bras de fer incessant avec les Trumpistes, qui se sont retrouvés dans une position d'opposition fermement réprimée. Lorsque Biden joue les faucons et se rapproche des néocons, il porte un coup au CFR (les mondialistes de gauche). Quand, au contraire, il essaie d'être une colombe, les mondialistes de droite entrent dans une colère noire. Si Joe Biden n'est pas un parfait perdant dans cette situation, alors qu'est-il ?

Cette situation est unique. Jamais, au cours des dernières décennies, la politique américaine n'a été aussi contradictoire, incohérente et carrément vouée à l'échec. C'est la chose la plus importante à retenir. L'Amérique est plus faible que jamais. Et c'est ce dont nous devons tirer parti. Trump s'est attelé à retirer la mondialisation de l'ordre du jour et à se concentrer sur les questions américaines, de manière consciente et responsable. Et il a négocié durement sur chaque question avec les représentants de la multipolarité croissante. Biden, paradoxalement, s'est révélé encore plus utile aux pôles multipolaires - il est tout simplement en train de détruire rapidement l'Amérique, et plus le mondialisme agonise, plus l'humanité voit clairement la faiblesse de quelqu'un qui prétendait encore récemment être le leader incontesté. Pour être réaliste (c'est-à-dire un peu cynique), mieux vaut un ennemi faible et impuissant comme Biden qu'un partenaire rationnel et conscient de lui-même comme Trump. Bien sûr, Biden est le mal absolu et un échec épique pour les États-Unis. Mais pour tous les autres... eh bien, eh bien, eh bien. Il y a quelque chose que nous commençons à aimer chez le vieux Joe...

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C'est ce dont la Russie devrait profiter activement en ce moment. Le déclin rapide de l'hégémonie mondiale américaine libère de vastes possibilités dans le monde entier - des territoires, des pays, des nations, des civilisations entières. Par inertie, certains pourraient craindre l'alliance anglo-saxonne, en disant que la Grande-Bretagne revient, qu'ils vont maintenant s'allier aux États-Unis et aux pays du Commonwealth et restaurer leur emprise coloniale. (Nous parlerons du projet QUAD, plus sérieux, dans un autre article.) Qui va le restaurer ? La Grande-Bretagne n'est plus un véritable sujet de l'historie en cours depuis longtemps. Il n'y a pas grand-chose à dire sur l'Australie. D'ailleurs, la présence financière et même démographique de la Chine dans le Pacifique est déjà un facteur gigantesque aujourd'hui. L'hégémonie se réduit et recule partout. Il y a là une chance pour un grand projet continental de Lisbonne à Vladivostok (dans l'esprit de Thiriart et de Poutine), pour une alliance eurasienne russo-chinoise, pour un nouveau cycle dans les relations entre la Russie et le monde islamique, et pour une avancée en Afrique et en Amérique latine.

    L'Amérique est en recul. Nous devons passer à l'offensive.

Cela nécessite une stratégie, une détermination, une volonté, une concentration des forces. Et ce qui est essentiel, c'est que cela nécessite une idéologie. La grande géopolitique exige de grandes idées. À l'heure actuelle - tant qu'il y aura un idiot au pouvoir aux États-Unis - la Russie a une chance historique non seulement de rendre la multipolarité irréversible, mais aussi d'étendre de manière spectaculaire son influence à l'échelle mondiale. L'hégémonie disparaît. Oui, c'est un dragon blessé, et il peut encore frapper fort et douloureusement. Mais il est à l'agonie. Nous devons donc faire attention aux douleurs fantômes de l'impérialisme, mais nous devons aussi garder la tête haute. Nous devons nous préparer à une contre-offensive. Tant que les choses sont telles qu'elles sont, c'est notre chance historique. Ce serait un crime de le manquer. Notre Empire est tombé en 1991. Aujourd'hui, c'est leur tour. Et il est de notre devoir de revenir dans l'histoire en tant qu'entité géopolitique pleinement souveraine et indépendante.

tg-Nezigar (@russica2)

Gifle anglo-saxonne à Macron et solitude géopolitique de la France

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Gifle anglo-saxonne à Macron et solitude géopolitique de la France

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La France subit les conséquences de sa plus grande défaite en politique étrangère depuis un quart de siècle, une défaite qui pourrait affecter la campagne électorale de Macron. Nous parlons du refus de l'Australie d'honorer le plus gros contrat avec la France ("le contrat du siècle", comme l'ont appelé les médias français) pour la construction de 12 nouveaux sous-marins de classe "Attack", qui a été finalement signé, après de longues et difficiles négociations, mais s'est retrouvé annulé en 48 heures au bénéfice des États-Unis et du Royaume-Uni. L'Australie a brusquement changé d'avis et a préféré les États-Unis à la France.

Dès le processus de négociation, la France, représentée par la société Naval Group, a assumé des coûts importants dans le projet, répondant ainsi aux souhaits des Australiens, mais la société américaine Lockheed Martin, qui a finalement obtenu le contrat, n'a reçu aucune demande de l'Australie. Le contrat perdu par la France s'élevait à 90 milliards de dollars, mais le montant du contrat avec la Grande-Bretagne et/ou les États-Unis est inconnu. Apparemment, il ne s'agit pas d'argent, mais de géopolitique.

Aujourd'hui, les Français commentent ce qui s'est passé en termes de "faux amis", de "coups de poignard dans le dos", de "coup de Trafalgar", en référence à la défaite de la France lors de la bataille de Trafalgar face à la Grande-Bretagne en 1805. Macron a même rappelé les ambassadeurs français en Australie et aux États-Unis pour des consultations afin de montrer son extrême ressentiment.

Le président français Macron a reçu une gifle de la part de l'alliance américano-britannique, déjà la deuxième ces dernières années, si l'on se souvient que lors d'une réunion dans la rue, un jeune homme a soudainement donné un coup de poing à Macron. L'incident a ensuite été étouffé, mais aujourd'hui, Macron se retrouve dans une position des plus humiliantes. Pour la culture politique française, compte tenu de son ambition, c'est prohibitif et douloureux.

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Le fait est que Macron a beaucoup investi dans ces négociations avec l'Australie : argent, temps, émotions, énergie. Il mettait tout à son actif et espérait passer triomphalement les élections. Depuis 2019, la commune de Cherbourg-en-Cotentin, où se trouve la base navale, accueille une partie du projet. Une école bilingue y a déjà été construite pour les enfants des Australiens venus s'entraîner sur la base, et deux artistes australiens ont été chargés de peindre le mur du poste de police avec des motifs aborigènes australiens.

Aujourd'hui, non seulement tous ces efforts ont été vains, mais les habitants de la commune sont privés du revenu attendu. Pour eux, cette situation, selon les médias français, est un séisme socio-économique. Macron est désormais perçu comme un homme politique faible, incapable de tenir ses promesses et de protéger ses citoyens et les intérêts nationaux de la France. Il a été humilié devant le monde entier, de surcroît d'une manière assez rude.

Les États-Unis sont convaincus que cela renforcera les arguments des adversaires de Macron et lui créera des problèmes, même si cela n'affectera pas le résultat de l'élection. Il est vrai que les Français vont désormais voter non pas pour les triomphalistes, mais pour les défaitistes. Maintenant, personne ne se souviendra que l'accord avec l'Australie a été élaboré par le prédécesseur de Macron, Hollande.

Le contrat a connu des difficultés, mais M. Macron a rencontré personnellement le Premier ministre australien Scott Morrison après le sommet du G7 à Londres, et les médias français ont ensuite écrit que "le contrat du siècle avait été sauvé". Macron aurait dû avoir un triomphe et aura en fin de compte une défaite.

On peut dire que la France a renoué avec le boomerang des Mistral. C'est elle qui a annulé le contrat avec la Russie pour les porte-hélicoptères déjà payés et construits. Cela a également été fait à la demande des États-Unis, mais il est incompréhensible que l'histoire n'ait rien appris aux Français. Quelle raison avaient-ils de croire que la Grande-Bretagne permettrait de telles actions au bénéfice de la France dans son fief ? Surtout si l'on considère qu'après le Brexit, les relations déjà difficiles entre la France et la Grande-Bretagne se sont encore détériorées.

Cette situation est particulièrement offensante pour Macron parce qu'il avait initialement soutenu les États-Unis contre le gazoduc germano-russe Nord Stream 2, ce qui a été fait de manière plus douce, sans pression polonaise, mais de manière diplomatique et sans équivoque. Macron a soutenu la Grande-Bretagne dans l'affaire des Skripals, dans le scandale du dopage, dans l'histoire de l'empoisonnement de Navalny, dans le problème de l'Ukraine. La France a été à l'avant-garde des alliés anglo-saxons sur des questions politiques de grande importance pour les États-Unis en Europe de l'Est.

Pour Macron, qui a servilement joué les utilités, la double souffrance n'est pas seulement le refus de l'Australie en soi, mais la façon dont il a été roulé dans la farine. En deux jours seulement, les fruits à long terme des efforts français ont complètement disparu. Dans le même temps, certains médias et partis politiques australiens vantent les mérites de la France.

La France aurait dû comprendre qu'elle ne pouvait pas prévenir et neutraliser les risques politiques dans ce contrat. Il ne s'agit pas d'argent, ou plutôt, il ne s'agit pas seulement d'argent. Nous parlons de géopolitique majeure, plus précisément de l'influence factuelle de la France dans la région Indo-Pacifique, qui est inacceptable pour la Grande-Bretagne et les États-Unis.

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En effet, selon la stratégie française dans les océans Indien et Pacifique, c'est là que se trouve 93% de la zone économique exclusive de la France. Cette zone abrite 1,5 million de citoyens français et 8 000 soldats français. La France revendique le statut de puissance non seulement européenne mais aussi africaine. Selon les experts, individuellement, tous les territoires de la présence française en Afrique n'ont pas de poids, mais tous ensemble, ils en ont.

Le problème est que l'Australie participe à une coalition américano-britannique contre la Chine, tout en maintenant des liens avec la France. L'échec de l'accord sur les sous-marins n'affectera pas ces liens. Les deux pays n'ont aucun intérêt à ce que les relations se détériorent. Mais la position de la France devient maintenant très difficile.

La France a toujours revendiqué une politique indépendante, tout en reconnaissant que c'était une illusion, étant donné son inclusion dans la sphère d'influence américaine. Washington prend en charge ces ambitions françaises et permet même parfois de les satisfaire dans une certaine mesure. Mais la France ne s'est jamais trop laissée aller et a bien compris sa place et son rôle dans le monde. Aujourd'hui, la France se retrouve non pas isolée, mais seule.

Son scepticisme (ndlr: germanophobe et beneluxophobe, hostilité rabique et haineuse à l'égard des "Boches de l'Est et du Nord", ainsi qu'aux "rats hollandais" selon Edith Cresson) à l'égard de Nord Stream 2 n'a pas renforcé sa position vis-à-vis de l'Allemagne. Avec la Russie aussi, il n'y a pas la liberté de manœuvre qui serait souhaitable pour Paris: Moscou n'oubliera pas tous les coups de poignard français. La Chine tient également compte (et rancune) de la volonté française de s'imposer en participant à des alliances anti-chinoises. Les relations avec la Grande-Bretagne sont compliquées; sans les États-Unis, elles ne sont pas réglementées. Aujourd'hui, les États-Unis ont fait preuve de mépris envers la France, sans se soucier de "sauver la face" du président français (qui se retrouve gros-Jean comme devant).

Dans sa hâte ambitieuse, la France s'est soudainement retrouvée seule. En même temps, elle a un conflit avec la Turquie, qu'elle ne peut pas résoudre sans les États-Unis et la Grande-Bretagne. Quel était l'intérêt de s'engager dans une relation sur une question majeure d'importance militaire et géopolitique dans une sphère complètement contrôlée par les Anglo-Saxons ?

Sur quoi étaient fondés les espoirs de succès et de vigilance passive des États-Unis et de la Grande-Bretagne - sur le fait qu'en échange d'une rhétorique contre la Russie et la Chine, ils permettraient à la France de renforcer son budget naval et de continuer à accumuler du pouvoir géopolitique ? La France avait toujours fait preuve jadis de la plus grande rationalité et du plus grand pragmatisme dans les négociations. Qu'est-il arrivé à la diplomatie française sous la misérable houlette du banquier Macron ?

D'une manière ou d'une autre, la France a subi une défaite écrasante en matière de politique étrangère, et il n'y a aucun pays qui n'en profitera pas d'une manière ou d'une autre. Cela se traduira par de nombreuses petites décisions et étapes, mais toutes seront très sensibles pour la France. Quelque part, les intérêts de la France seront ignorés plus ouvertement qu'auparavant, quelque part, des conditions plus strictes lui seront proposées.

La France doit sortir de sa solitude en prenant des mesures décisives à l'égard des adversaires des États-Unis et de la Grande-Bretagne, mais elle n'est pas libre pour de telles actions. Les États-Unis comprennent que Macron s'énerve, souffle et puis se calmera. La France est trop dépendante des États-Unis pour se permettre une opposition même minime.

Mais dans l'UE, la France devra redorer son blason. La question est de savoir si l'Allemagne laissera à la France l'espace nécessaire après tout ce qui s'est passé. Quoi qu'il en soit, les relations entre la France et les États-Unis ont tourné au vinaigre et, connaissant la rancœur des Français, il ne fait aucun doute que Macron ne l'oubliera pas et ne pardonnera pas. Il n'osera pas se venger des États-Unis, mais avec Londres, Paris sera désormais encore plus à couteaux tirés.

La Russie et la Chine regarderont avec intérêt Macron soigner une autre blessure, mais il aura encore une chance de se rétablir. La France cherchera un motif de vengeance. Les boomerangs d'Australie reviendront sur Londres.

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Analyse : Une nouvelle Triple Alliance est-elle en gestation ?

Vladimir Terekhov*

L'inauguration de l'AUKUS, une nouvelle configuration géopolitique comprenant l'Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis (l'acronyme vient des lettres initiales des pays participants), a été l'un des développements les plus remarquables de la politique mondiale de ces dernières semaines.

Pour l'instant, il est difficile d'évaluer la nature d'une telle démarche. Il ne s'agit vraisemblablement pas d'un nouveau bloc militaire et politique, car les trois nations sont déjà liées par des engagements de défense mutuelle de longue date, un fait que la Maison Blanche n'a pas hésité à mentionner dans sa déclaration à ce sujet. La dernière phrase de ce document sur ces engagements indiquait notamment : "Nous nous engageons à nouveau dans cette vision".

À l'exception du paragraphe citant les plans visant à fournir huit sous-marins à l'Australie, le document est extrêmement médiocre et rappelle les discours de Mikhaïl Gorbatchev, toujours prêt à "intensifier et approfondir" ce qu'il juge nécessaire. Selon la déclaration, l'AUKUS est créé pour "renforcer le partenariat de sécurité trilatéral".

Toutefois, si l'objectif principal de ce pacte est de faire de l'Australie la première puissance régionale capable de contenir la Chine, cette démarche ne fait qu'ajouter à la confusion entourant la position politique du gouvernement australien vis-à-vis de la Chine, qui a presque toujours semblé être un désastre auto-infligé. Si cette hypothèse est vraie, ce cours commence à avoir l'air carrément suicidaire. La Chine a déjà prévenu que l'acquisition par l'Australie d'une flotte de sous-marins nucléaires pourrait faire de ce pays une cible pour une attaque nucléaire chinoise.

Toutefois, dans son ensemble, le projet AUKUS annoncé donne l'impression d'être improvisé et mal conçu, ce qui reflète son développement hâtif et, apparemment, les efforts déployés pour le dissimuler (aux concurrents ?). En outre, certains pensent qu'AUKUS pourrait avoir un impact négatif sur l'initiative QUAD, un autre projet que ses participants ont désespérément tenté de sauver de 15 ans d'oubli au Japon, qui ne savait apparemment rien du développement d'AUKUS. Plus important encore, l'Inde ne l'a pas fait non plus, ce qui signifie que la moitié des membres de QUAD ont été laissés dans l'ignorance.

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Jusqu'à présent, il semble que la principale raison derrière AUKUS était l'argent: ou, pour être précis, une somme forfaitaire exorbitante de 56 milliards d'euros, que l'Australie, un pays anglo-saxon, a "pour une raison ou une autre" décidé de donner en 2017 à des concurrents du monde anglo-saxon, les Français. À l'époque, la France a remporté un appel d'offres (les principaux concurrents étaient les Japonais) pour la construction de 12 sous-marins modernes à moteur diesel. Cette somme couvre non seulement les coûts de construction des sous-marins eux-mêmes, mais aussi le développement des infrastructures et la formation des équipages.

Il semble que l'Australie ait "reçu un ordre d'en haut", un entrepreneur de la défense d'un autre pays anglo-saxon, à savoir les États-Unis. "Vous en aurez plus pour votre argent. Vous aurez nos sous-marins à propulsion nucléaire". Mais qu'en est-il des appels d'offres "fondés sur des règles" ? La réponse est très simple: les "règles" sont un concept que les autres doivent respecter, pas nous.

Il n'est pas étonnant que le ministre français des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, ait été furieux après avoir appris la formation de l'AUKUS et son objectif (il a été tenu secret pour les principaux alliés). Il y a une explication tout à fait naturelle (et pas seulement sous-marine) à tout cela. La première réunion des ministres des affaires étrangères et de la défense français et australiens (le "format 2 + 2") vient d'avoir lieu (le 30 août de cette année). Il s'est conclu par la déclaration d'un "partenariat stratégique renforcé".

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En d'autres termes, les relations bilatérales se déroulent sans encombre selon les grandes lignes tracées lors de la visite du président français Emmanuel Macron en Australie en mai 2018. Jean-Yves Le Drian lui-même a été directement impliqué dans le succès de l'appel d'offres susmentionné. Et voilà "le coup de poignard dans le dos". Il semble que le gouvernement de Scott Morrison était de connivence avec ses "partenaires stratégiques" au moment même où ils négociaient.

Quelle trahison, l'enfer de la politique étrangère !

La réponse française a été sévère, Paris rappelant ses ambassadeurs aux États-Unis (un geste sans précédent dans les relations diplomatiques entre alliés de l'OTAN) et en Australie. Pendant ce temps, le Royaume-Uni a échappé à la colère de la France, cette dernière estimant que Londres n'avait fait que "suivre aveuglément" les autres participants à l'AUKUS ("que peut-on attendre d'autre de ces simplets, vous savez?").

Compte tenu de la manière dont le parlement britannique a débattu de la question de la participation de la Grande-Bretagne à ce projet, Londres semble avoir adhéré au pacte plus ou moins dans ce sens. Apparemment, le processus de décision au Royaume-Uni est aussi chaotique qu'à Washington.

À quoi ressemble la politique chinoise de Londres? D'une part, plusieurs navires de la Royal Navy, menés par le porte-avions HMS Queen Elizabeth, viennent d'arriver au Japon pour participer à des exercices multilatéraux (avec un agenda anti-chinois évident) dans la région d'Okinawa. Pendant ce temps, Londres pointe du doigt Pékin.

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À cet égard, il convient de noter qu'Elizabeth "Liz" Truss, qui supervisait auparavant le commerce international, a été nommée ministre britannique des affaires étrangères. Elle a notamment mis en œuvre le volet commercial et économique de la politique globale du Royaume-Uni consistant à "s'incliner" vers la région indo-pacifique. Au demeurant, il est entendu que dans sa précédente publication, Elizabeth Truss préconisait le développement des relations avec Moscou.

Mais, dans l'ensemble, il semble que le projet AUKUS ait été développé dans la précipitation, sans tenir compte des conséquences possibles d'un projet aussi mal conçu. Les autorités responsables ont-elles vraiment été prises par surprise et n'ont-elles pas saisi les ramifications évidentes que le projet impliquait ? Car de tels projets ont tendance à se développer selon leur logique interne, ce qui surprend leurs auteurs.

En même temps, définir AUKUS comme une nouvelle "Triple Alliance" ravive quelques souvenirs désagréables en termes d'histoire. C'est la signature secrète de la "Triple Alliance" de 1882 entre l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie et l'Italie qui s'est avérée être un jalon historique, une date qui a marqué le début du somnambulisme de dirigeants européens qui les ont conduit inexorablement vers la Première Guerre mondiale, qui a entraîné de très graves conséquences pour l'humanité dans son ensemble, tant pour les vainqueurs que pour les vaincus.

Quant à la Russie, s'il ne faut pas exagérer l'importance d'AUKUS, le projet doit être analysé, car les déclarations écrites et orales ne suffisent pas à apporter beaucoup de clarté. Nous avons besoin d'au moins quelques détails qui n'apparaissent nulle part.

Du point de vue le plus élémentaire, ces événements reflètent l'urgence croissante de renforcer l'alliance sino-russe qui (ce point doit être souligné) ne doit être dirigée contre personne. En d'autres termes, il doit être entièrement défensif.

Entre-temps, il est nécessaire de chercher à établir des contacts avec les factions américaines qui favorisent la résolution des problèmes intérieurs (la question clé ici est probablement de contrôler la situation à l'intérieur du pays), de diminuer l'implication de Washington dans les conflits de politique étrangère dans le monde, et de forger des liens avec la Russie et la Chine. Ces pays ne sont pas intéressés par l'effondrement de cette puissance mondiale encore prédominante. La question de l'arsenal nucléaire américain et du contrôle des armements constitue à elle seule un énorme problème.

Il est nécessaire de rivaliser pour l'influence en Allemagne (avec la France comme concurrent), en Inde et même au Japon. La Russie et la Chine ont leurs propres pierres d'achoppement dans leurs relations avec chacune de ces puissances. Mais il existe des ouvertures qui ne semblent pas totalement déraisonnables. Cela dit, Moscou et Pékin devront faire preuve de souplesse et de patience dans leurs relations avec ces États.

* Expert ès-questions de l'aire Asie-Pacifique.

dimanche, 26 septembre 2021

Russie, territoire libre de l'Europe

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Russie, territoire libre de l'Europe

Par Claudio Mutti 

Ex: https://www.eurasia-rivista.com/la-russia-territorio-libero-deuropa/#

L'année 2022 marquera à la fois le centenaire de la naissance et le trentième anniversaire de la mort de Jean Thiriart (1922-1922), un "géopoliticien militant" [1] dont ma revue Eurasia s'est occupé à plusieurs reprises, rendant accessible au public italien de nombreux articles publiés par lui dans des périodiques aujourd'hui pratiquement introuvables [2]. Défenseur acharné et infatigable, dans une Europe divisée entre le bloc atlantique et le bloc euro-soviétique, de la nécessité historique de "construire une grande Patrie: l'Europe unitaire, puissante, communautaire" [3], Thiriart en indique en 1964 les dimensions géographiques et démographiques: "Dans le cadre d'une géopolitique et d'une civilisation communes (...) l'Europe unitaire et communautaire s'étend de Brest à Bucarest. (...) Contre les 414 millions d'Européens, il y a 180 millions d'habitants des États-Unis et 210 millions d'habitants de l'URSS" [4].

Conçu comme une troisième force souveraine et armée, indépendante de Washington et de Moscou, l'"empire de 400 millions d'hommes", envisagé par Thiriart, devait établir une relation de coexistence avec l'URSS basée sur des conditions précises: "Une coexistence pacifique avec l'URSS ne sera pas possible tant que toutes nos provinces orientales n'auront pas retrouvé leur indépendance. La proximité pacifique avec l'URSS commencera le jour où l'URSS retournera dans les frontières de 1938. Mais pas avant: toute forme de coexistence qui pourrait impliquer la division de l'Europe n'est qu'une tromperie" [5].

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Selon Thiriart, la coexistence pacifique entre l'Europe et l'URSS trouverait son aboutissement le plus logique dans "un axe Brest-Vladivostok". (...) Si l'URSS veut garder la Sibérie, elle doit faire la paix avec l'Europe, avec l'Europe de Brest à Bucarest, je le répète. L'URSS n'a pas, et aura de moins en moins, la force de garder Varsovie et Budapest d'une part et Tchita et Khabarovsk d'autre part. Elle devra choisir, ou risquer de tout perdre. (...) L'acier produit dans la Ruhr pourrait très bien servir à défendre Vladivostok" [6].

L'axe Brest-Vladivostok théorisé à l'époque par Thiriart semblait avoir davantage le sens d'un accord visant à définir les zones d'influence respectives de l'Europe unie et de l'URSS, car " dans la première moitié des années 1960, Thiriart raisonne encore en termes de géopolitique "verticale" [7], ce qui le conduit à penser selon une logique plus "eurafricaine" qu'"eurasienne", c'est-à-dire à esquisser une extension de l'Europe du Nord au Sud et non d'Est en Ouest" [8].

Le scénario esquissé en 1964 a été développé par Thiriart au cours des années suivantes, de sorte qu'en 1982, il pouvait le définir ainsi: "Nous ne devons plus raisonner ou spéculer en termes de conflit entre l'URSS et nous-mêmes, mais en termes de rapprochement puis d'unification. (...) Nous devons aider l'URSS à se compléter dans la grande dimension continentale. Cela triplera la population soviétique qui, pour cette raison même, ne pourra plus être une puissance à "caractère russe" dominant. (...) Ce sera la physique de l'histoire qui obligera l'URSS à chercher des rivages sûrs: Reykjavik, Dublin, Cadix, Casablanca. Au-delà de ces limites, l'URSS n'aura jamais la tranquillité d'esprit et devra vivre dans une préparation militaire incessante. Et coûteuse" [9].

À cette époque, la vision géopolitique de Thiriart était devenue ouvertement eurasiste: "L'empire euro-soviétique - lit-on dans l'un de ses articles de 1987 - s'inscrit dans la dimension eurasienne" [10]. Ce concept a été réitéré par lui dans le long discours qu'il a prononcé à Moscou trois mois avant sa mort: "L'Empire européen - disait-il - est, par postulat, eurasien" [11].

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L'idée d'un "Empire euro-soviétique" a été formulée par Thiriart dans un livre écrit en 1984 et publié à titre posthume en 2018 (12). En 1984, il écrivit: "L'histoire donne aux Soviétiques l'héritage, le rôle, le destin qui, pendant un bref instant, avait été assigné au Reich: l'URSS est la principale puissance continentale en Europe, elle est le heartland des géopoliticiens. Mon discours actuel s'adresse aux chefs militaires de ce magnifique instrument qu'est l'armée soviétique, un instrument auquel manque une grande cause" [13]. Partant du constat que dans la mosaïque européenne composée d'États satellites des États-Unis et de l'URSS, le seul État véritablement indépendant, souverain et militairement fort était l'État soviétique, Thiriart attribuait à l'URSS un rôle similaire à ceux joués par le royaume de Sardaigne dans le processus d'unification italienne et par le royaume de Prusse dans le monde germanique ou, pour citer un parallèle historique plus ancien proposé par Thiriart lui-même, par le royaume de Macédoine en Grèce au IVe siècle avant J.-C.: "La situation de la Grèce en 350 av.J.C., morcelée en cités-états rivales et divisée entre les deux puissances de l'époque, la Perse et la Macédoine, présente une analogie évidente avec la situation de l'Europe occidentale actuelle, divisée en petits et faibles États territoriaux (Italie, France, Angleterre, Allemagne fédérale) soumis aux deux superpuissances" [14].

Par conséquent, tout comme il y avait un parti pro-macédonien à Athènes, il aurait été opportun de créer en Europe occidentale un parti révolutionnaire qui collaborerait avec l'Union soviétique; ce parti, en plus de se libérer des entraves idéologiques du dogmatisme marxiste incapacitant, aurait dû éviter toute tentation d'établir l'hégémonie russe sur l'Europe, sinon son entreprise aurait inévitablement échoué, tout comme la tentative de Napoléon d'établir l'hégémonie française sur le continent avait échoué. "Il ne s'agit pas, précise Thiriart, de préférer un protectorat russe à un protectorat américain. Non. Il s'agit de faire découvrir aux Soviétiques, qui n'en sont probablement pas conscients, le rôle qu'ils pourraient jouer: s'élargir en s'identifiant à l'ensemble de l'Europe. Tout comme la Prusse, en s'agrandissant, est devenue l'Empire allemand. L'URSS est la dernière puissance européenne indépendante disposant d'une force militaire importante. Il manque d'intelligence historique" [15].

* * *

L'URSS n'existe plus depuis trente ans. Pourtant, la Fédération de Russie, avec son immense territoire qui s'étend de la Crimée à Vladivostok, est aujourd'hui, comme l'URSS en 1984, le seul État véritablement indépendant et souverain dans une Europe qui est au contraire divisée en une multitude de petits États soumis à l'hégémonie de Washington.

En fait, le seul territoire européen qui n'est pas occupé par des bases militaires américaines ou de l'OTAN est le territoire russe. La seule armée qui n'est pas intégrée à une organisation militaire hégémonisée par les États-Unis d'Amérique est celle de la Fédération de Russie. La seule capitale européenne qui n'a pas à demander la permission aux États-Unis et à leur rendre des comptes est Moscou. Et même sur le plan spirituel et éthique, seule la Russie défend ces valeurs, héritage de la civilisation européenne authentique comme de toute civilisation normale, qui sont la cible de l'offensive massive déclenchée par les barbares de l'Occident "contre les fondements de toutes les religions du monde et contre le code génétique des civilisations, dans le but de renverser tous les obstacles sur la route du libéralisme". Ce sont les mots du ministre russe des affaires étrangères, Sergei Lavrov, qui, dans une analyse parue dans le magazine russe Russia in Global Affairs, a dénoncé le danger mortel de la "guerre menée contre le génome humain, contre toute éthique et contre la nature"[16].

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Dans une Europe désormais incapable d'imaginer la possibilité et la légitimité d'un régime politique autre que le régime démocratique qui lui a été imposé dans les deux phases successives de 1945 et 1989, seule la classe dirigeante russe se montre consciente du fait que la démocratie n'est en aucun cas le seul ordre possible, valable indistinctement partout sur la terre, indépendamment des spécificités ethniques, culturelles et religieuses. Par exemple, commentant l'intervention américaine en Afghanistan, Sergueï Lavrov a déclaré : "La conclusion la plus importante est probablement que l'on ne doit apprendre à personne à vivre, et encore moins le forcer à vivre"; et il a rappelé les cas de l'Irak, de la Libye et de la Syrie, où "les Américains voulaient que chacun vive comme eux le voulaient" [17].

Quelques jours plus tôt, le 20 août 2021, Vladimir Poutine avait donné une semblable leçon de réalisme politique à une Europe acculée face au "Moloch de l'universel" - pour reprendre l'expression d'un philosophe admiré et lu par le président russe, Vissarion G. Belinskij (1811-1848). Poutine a déclaré : "Vous ne pouvez pas imposer votre mode de vie aux autres peuples, car ils ont leurs propres traditions. C'est la leçon à tirer de ce qui s'est passé en Afghanistan. Désormais, la norme sera le respect des différences, car on ne peut pas exporter la démocratie, qu'on le veuille ou non" [18].

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La circonstance dans laquelle Poutine a prononcé ces mots, fut une conférence de presse avec la chancelière allemande, où il a pu rappeler à certains les paroles visionnaires de Dostoïevski: "L'Allemagne a besoin de nous plus que nous ne le pensons". Et il n'a pas besoin de nous seulement pour une alliance politique temporaire, mais pour une alliance éternelle. L'idée d'une Allemagne réunifiée est grande et majestueuse et plonge ses racines dans la nuit des temps. (...) Deux grands peuples, donc, sont destinés à changer la face de ce monde" [19].

Aujourd'hui, ce n'est pas seulement l'Allemagne qui a besoin de la Russie, mais toute l'Europe, qui est désormais proche du point critique que Dostoïevski avait prévu lorsqu'il prédisait que "toutes les grandes puissances de l'Europe finiront par être anéanties, pour la simple raison qu'elles seront usées et subverties par les tendances démocratiques" [20] et que la Russie n'aurait qu'à attendre "le moment où la civilisation européenne atteindra son dernier souffle, pour reprendre ses idéaux et ses objectifs" [21].

Il est certain que la situation actuelle n'incite pas la Russie à envisager, ne serait-ce que comme une possibilité théorique, d'assumer le rôle de puissance agrégatrice en Europe. Cependant, si Moscou manque encore de ce que Jean Thiriart appelait "l'intelligence historique" nécessaire pour concevoir le grand dessein de la libération de l'Europe de l'occupation américaine et de la construction d'une superpuissance impériale entre l'Atlantique et le Pacifique, les conditions objectives auxquelles la Russie devra faire face dans les prochaines années favoriseront probablement la naissance d'une telle intelligence.

NOTES:

[1] Cette définition (cfr. “Eurasia” 2/2018, p. 13) a été choisie pour donner un titre à l'édition italienne de l'unique biographie de Jean Thiriart: Yannick Sauveur, Jean Thiriart, il geopolitico militante, Edizioni all’insegna del Veltro, Parma 2021. Edition française: Qui suis-je ? Thiriart, Éditions Pardès, Grez-sur-Loing 2016. On lira aussi l'entretien que Sauveur a accordé à Robert Steuckers: Yannick Sauveur, biografo di Jean Thiriart, “Eurasia”, 4/2017, pp. 199-206.

[2] Praga, l’URSS e l’Europa, 1/2012; Criminale nocività del piccolo nazionalismo: Sud Tirolo e Cipro, 2/2013; La geopolitica, l’Impero, l’Europa, 1/2014; L’Europa fino a Vladivostok (prima parte), 4/2015; L’Europa fino agli Urali: un suicidio!, 2/2016; Intervista a Jean Thiriart (di Gene H. Hogberg), 2/2016; La NATO: strumento di servitù, 2/2017; Illusioni nazionaliste, 3/2017; L’Europa fino a Vladivostok (seconda parte), 4/2017; Esiste un “buon popolo” americano?, 1/2018; Carteggio col generale Perón, 1/2018; USA: un impero di mercanti, 2/2018; L’Occidente contro l’Europa, 3/2018; Dalla “Grande Europa” all’Europa più grande, 3/2018; L’imperialismo d’integrazione e gli Stati unitari, 4/2019; La stella polare della politica americana, 1/2019; Il vero pericolo tedesco, 2/2019; Il fallimento dell’impero britannico, 3/2019; Nazioni fittizie e nazionalismi illusori, 4/2019; Gli Arabi e l’Europa, 2/2020; Il mito europeo contro le utopie europee, 4/2020; La NATO: strumento di servitù, 1/2021; La pace americana: la pace dei cimiteri, 3/2021; La Russia in permanente stato d’assedio, 4/2021.

[3] Jean Thiriart, Un empire de 400 millions d’hommes: l’Europe, Bruxelles 1964. Trad. it. de Massimo Costanzo: Un impero di 400 milioni di uomini: l’Europa, Giovanni Volpe, Roma 1965, p. 19. Trad. it. de Giuseppe Spezzaferro: L’Europa: un impero di 400 milioni di uomini, Avatar, Dublino, 2011.

[4] Jean Thiriart, Un impero di 400 milioni di uomini: l’Europa, cit., pp. 17-18.

[5] Jean Thiriart, Un impero di 400 milioni di uomini: l’Europa, cit., p. 21.

[6] Jean Thiriart, Un impero di 400 milioni di uomini: l’Europa, cit., pp. 26-29.

[7] Sur les concepts de géopolitique "verticale" et de géopolitique "horizontale", voir les observations critiques développées par Carlo Terracciano en rapport avec la géopolitique "verticale" d'Alexandre Douguine:  C. Terracciano, Europa-Russia-Eurasia: una geopolitica “orizzontale”, “Eurasia”, 2/2005, pp. 181-197.

[8] Lorenzo Disogra, L’Europa come rivoluzione. Pensiero e azione di Jean Thiriart, Préface de Franco Cardini, Edizioni all’insegna del Veltro, Parma 2020, p. 30.

[9] Jean Thiriart, Entretien accordé à Bernardo Gil Mugurza [rectius: Mugarza] (1982), in: AA. VV., Le prophète de la grande Europe, Jean Thiriart, Ars Magna 2018, p. 349.

[10] Jean Thiriart, La Turquie, la Méditerranée et l’Europe, “Conscience européenne”, n. 18, luglio 1987.

[11] Le long article L’Europe jusqu’à Vladivostok, diffusé en traduction russe par le périodique "Dyeïnn" puis publié en français dans le numéro 9 de “Nationalisme et République” en septembre 1992, est tiré du texte de la conférence de presse tenue par Thiriart à Moscou, le 18 août de la même année. La traduction italienne en est parue dans Eurasia: la première partie dans le n°4/2013 (pp. 177-183), la seconde partie dans le n° 4/2017 (pp. 131-145).

[12] Jean Thiriart, L’Empire euro-soviétique de Vladivostok à Dublin, Préface de Yannick Sauveur, Éditions de la Plus Grande Europe, Lyon-Bruxelles-Moscou 2018; trad. it. de C. Mutti: L’Impero euro-sovietico da Vladivostok a Dublino, Yannick Sauveur éditeur, Edizioni all’insegna del Veltro, Parma 2018.

[13] Jean Thiriart, L’Impero Euro-sovietico da Vladivostok a Dublino, cit., p. 204.

[14] Jean Thiriart, L’Impero Euro-sovietico da Vladivostok a Dublino, cit., p. 190.

[15] Jean Thiriart, L’Impero Euro-sovietico da Vladivostok a Dublino, cit., p. 191.

[16] L’Occidente sta conducendo una guerra contro tutte le religioni e il codice genetico umano, afferma il diplomatico russo, https://strategika51.org, 30 giugno 2021.

[17] Lavrov su campagna militare Usa in Afghanistan: “non insegnate a nessuno come vivere”, Sputnik Italia, 25 agosto 2021.

[18] ANSA, Mosca, 20 agosto 2021.

[19] F. Dostoevskij, Diary of a writer, London 1949, vol. II, pp. 912-913.

[20] F. Dostoevskij, Diary of a writer, cit., vol. I, p. 296.

[21] F. Dostoevskij, Kriticeskie stat’i, in Sobranie sočinenij, Pietroburgo, 1894-1895, vol. IX, p. 25.

Précisions sur l'AUKUS

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Précisions sur l'AUKUS

Pierre-Emmanuel Thomann

1st Docteur en géopolitique, enseignant et expert sur les questions européennes et globales

Pour interpréter la configuration géopolitique émergente qui résulte de la création de l'alliance des Etats-Unis, de l'Australie et du Royaume-Uni (AUKUS) dans le cadre de la doctrine indo-pacifique, les enjeux doivent être abordés à l'échelle mondiale et pas seulement dans la zone Indo-Pacifique afin d'en souligner les ressorts profonds (carte ci-dessus : Stratégie géopolitique des Etats-Unis  contre la Russie et la Chine dans le contexte de la nouvelle rivalité des puissances, 2020).    
 
ll faut rappeler que selon la posture géopolitique Etats-Unis, la doctrine indo-pacifique (notion introduite par le Japon dès 2010), n'est que le volet asiatique d'une manoeuvre plus large qui consiste à encercler l'Eurasie, l'autre volet étant le front est-européen contre la Russie. AUKUS s'inscrit donc dans la volonté des Anglo-Saxons de se positionner au sommet de la hiérarchie des puissances.  
 
Cette alliance anglo-saxonne dans l'indo-pacifique est exclusive, car elle est liée à l'objectif des Anglo-Saxons de ralentir l'émergence du monde multipolaire à l'échelle mondiale, notamment contre la Chine mais aussi contre la Russie. Elle est complémentaire de la stratégie globale des Anglo-Saxons d 'empêcher aussi l'éventuelle émergence d'un bloc Ouest-européen autour de la France et l'Allemagne, avec à terme une entente avec la Russie, voire avec la Chine par voie continentale. L'objectif est aussi de forcer les Etats à choisir entre la Chine et les Etats-Unis, sur le mode, "vous êtes avec nous ou contre nous !". L 'AUKUS ne constitue donc qu'une escalade supplémentaire dans le cadre d'une grande stratégie des Etats-Unis vis-à-vis de l'Eurasie, avec pour objectif d'empêcher une puissance rivale de contrôler les zones côtières de ce continent (et mettre en danger sa suprématie). Elle trouve sa source dans la doctrine géopolitique de Spykman reconduite jusqu'à aujourd'hui (endiguement de l'URSS dans les années 1950) et de manière plus explicite, la désignation, de la Chine et la Russie comme adversaires des Etats-Unis sous la présidence de Donald Trump.

L'angle spatial est le coeur de toute analyse géopolitique, et en s'inspirant de la formule du géographe allemand Friedrich Ratzel, "Im Raume lesen wir die Zeit" (Dans l'espace, nous lisons le temps), on peut ainsi dire "nous pouvons lire l'avenir dans les cartes !".

L'émergence de cette configuration était donc en grande partie prévisible. L'erreur de la diplomatie française (depuis le départ du général de Gaulle) a été de persister à croire qu'un rang privilégié pouvait lui être accordé en se coulant dans les priorités géopolitiques anglo-saxonnes (en s'inscrivant dans la doctrine indo-pacifique/en favorisant les élargissements de l'OTAN) tout en préservant une marge de manoeuvre tactique (en obtenant des contrats d'armements par exemple). Je souligne ici ma définition: une stratégie géopolitique, c'est l'anticipation sur l'espace temps des autres (alliés et ennemis). C'est désormais à la France de répliquer (prochain post).

samedi, 25 septembre 2021

L'Indo-Pacifique, banc d'essai de l'axe Moscou-Pékin

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L'Indo-Pacifique, banc d'essai de l'axe Moscou-Pékin

Emanuel Pietrobon

Ex: https://it.insideover.com/politica/indo-pacifico-il-banco-di-prova-dell-asse-mosca-pechino.html

La compétition entre les grandes puissances est entrée dans une nouvelle phase le 15 septembre, jour où les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie ont dévoilé au monde la formation d'un pacte indo-pacifique, le fameux AUKUS. L'alliance, comme on le sait, a été froidement accueillie au sein de l'Union européenne, notamment par la France - qui, sauf compensation, a perdu une commande de 65 milliards de dollars - et a donné l'impulsion à un bouleversement dans les eaux de plus en plus agitées de l'ancien océan Pacifique dont l'issue ne sera compréhensible que dans un avenir proche.

La conviction de l'administration Biden est que les Aukus peuvent contribuer à la stratégie de "mise en cage" de la République populaire de Chine dans un statut exclusivement tellurocratique - car c'est là l'un des grands leitmotivs géopolitiques des États-Unis contemporains - tout en encourageant les alliés européens à sortir de leur léthargie post-historique et en magnétisant les forces et les ressources des collaborateurs asiatiques sur le terrain.

La question de savoir si et dans quelle mesure les États-Unis parviendront à limiter et/ou à empêcher la montée incontrôlable de la Chine dépendra d'un certain nombre de facteurs et d'événements, que les Aukus pourraient déclencher ou inhiber, concernant les principales puissances d'Asie du Sud-Est, le Japon, l'indosphère et la non moins importante Russie.

Les répercussions possibles de l'affaire Aukus

L'Aukus est l'une des expressions les plus puissantes de la vision américaine de l'Indo-Pacifique, un fruit cultivé et mûri dans une plantation historiquement fertilisée par la stratégie belliciste de la chaîne d'îles et l'héritage de la "géopolitique du détroit" de la Compagnie des Indes orientales. Ce fruit a un moyen, l'anglosphère, et une fin, la Chine, mais ceux qui ont surveillé chaque étape de sa maturation ont peut-être négligé, ou complètement ignoré, le poids du facteur inconnu qu'est la Russie.

Pour le moment, Moscou n'a qu'une présence limitée dans les deux océans qui unissent les destins de l'indosphère, de la sinosphère et de l'anglosphère, car ils sont loin de ses frontières et donc moins importants pour la protection de sa sécurité nationale que, par exemple, l'Arctique ou l'Asie centrale. Et jusqu'à présent, en tout cas, l'expansion russe dans la région avait été conçue davantage comme un encerclement préventif de la Chine que comme une confrontation avec les États-Unis. Les Aukus, cependant, pourraient tout changer.

Depuis 2014, la Russie et la Chine collaborent activement sur les théâtres qui comptent, en se soutenant mutuellement et en opérant de manière à ne pas laisser de "vides de pouvoir" susceptibles d'être utilisés par des tiers, c'est-à-dire en agissant au nom d'une complémentarité syntonique et parfaite. En termes pratiques, cela signifie qu'il existe une division du travail entre le Kremlin et Zhongnanhai, le premier offrant ce que le second ne peut pas et/ou ne possède pas (et vice versa). Un modus operandi qui, jusqu'à présent, avait été appliqué partout (et avec succès) à l'exception de deux arènes : l'Afrique et l'Indo-Pacifique.

Après une décennie d'interventions ciblées, qui ont été utiles à la Russie pour empêcher la chute d'alliés clés comme le Venezuela et une pénétration occidentale excessive dans des endroits comme l'Asie centrale, il n'est pas exclu que l'entrée en scène des Aukus puisse encourager la Chine à demander un retour de faveur. Un retour qui pourrait prendre des formes inhabituelles, c'est-à-dire aller au-delà du simple soutien verbal et diplomatique, comme des exercices navals en mer de Chine méridionale, des patrouilles conjointes, des demandes de courtage et, non moins important, un soutien pour contourner la course d'obstacles qu'est la route maritime du sud.

Pivot vers l'Arctique

Les Aukus pourraient inciter Moscou et Pékin à tenter d'appliquer leur format de coopération complémentaire dans la région indo-pacifique, mais les tensions croissantes dans cette zone - qui abrite 46 % du commerce de la planète - pourraient également produire une réaction géographiquement asymétrique, c'est-à-dire concernant l'Arctique.

En effet, la Russie préférerait ne pas s'impliquer dans l'infinie aire indo-pacifique en raison des risques liés à une extension impériale excessive et des effets négatifs d'une homologation excessive aux politiques chinoises - il ne faut pas oublier que les principaux collaborateurs du Kremlin dans la région sont l'Inde, les Philippines et le Vietnam, trois des grands rivaux de la Chine -, donc, en plus d'une monstration musculaire symbolique (adressé aux États-Unis), elle pourrait profiter de l'occasion pour relancer la route (plus sûre) de la mer au Nord.

Car ce qui est en jeu dans l'Indo-Pacifique, ce n'est pas seulement l'existence de Taïwan, l'hégémonisation de la mer de Chine méridionale et la sortie de l'Empire céleste de sa condition tellurique, mais aussi (et surtout) le contrôle des routes maritimes qui relient les deux côtés du supercontinent eurasien. Des routes pleines d'obstacles, comme les fameux goulets d'étranglement, les pirates et l'armée américaine. Des routes dangereuses et de plus en plus obsolètes, comme l'a montré le récent accident du canal de Suez, qui pourraient être contournées en contournant facilement l'Eurasie par le nord.

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Certains événements semblent indiquer que la réaction géographiquement asymétrique pourrait être plus qu'une simple hypothèse. Dans l'ère post-Aukus, en fait, le Kremlin a montré profil bas dans l'Indo-Pacifique - parlant de l'alliance comme d'une menace pour la Chine - compensé par une publicité renouvelée pour la route arctique. Plus précisément, la Russie a dévoilé un paquet d'investissements supplémentaires pour le développement de cette route en devenir pour la période 2022-24 d'une valeur de plus de 250 millions de dollars. L'objectif déclaré de ce paquet est d'accélérer les travaux sur la route de 5.600 kilomètres, mais il pourrait y avoir plus que cela: le désir d'exploiter les turbulences de l'Indo-Pacifique au profit du passage du Nord-Est.

Le Pacte AUKUS et la guerre contre l'Eurasie

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Le Pacte AUKUS et la guerre contre l'Eurasie

Daniele Perra

Ex: https://www.geopolitica.ru/it/article/il-patto-aukus-e-la-guerra-alleurasia

La géopolitique thalassocratique classique définit le "monde insulaire", la World Island, comme l'ensemble des masses continentales eurasiennes et africaines. Cette "sphère majeure" est entourée d'un certain nombre de "sphères mineures" qui agissent comme ses satellites et qui, d'une manière ou d'une autre, ont historiquement cherché à exercer une pression constante sur elle et à contenir tout effort de coopération possible en son sein. Ce rôle de "satellite" a été historiquement attribué au Japon à l'Est, d'abord à la Grande-Bretagne ("une île européenne mais pas en Europe") puis aux États-Unis à l'Ouest, et aujourd'hui à l'Océanie au Sud de l'Eurasie.

Si l'on exclut l'archipel japonais, dont les ambitions de puissance ont été anéanties par deux bombes nucléaires à la fin de la Seconde Guerre mondiale et dont les ambitions technologiques ont été freinées par la concurrence déloyale des États-Unis eux-mêmes dans les années 1980, le schéma géopolitique qui se dessine est celui d'un encerclement par l'"anglosphère" de l'Eurasie.

Déjà le stratège Nicholas Spykman, après avoir reconnu l'impossibilité pour une puissance thalassocratique d'accéder au coeur de la masse terrestre de l'Asie centrale, soutenait l'idée que l'affrontement (qui refait toujours surface) entre les puissances maritimes et les puissances terrestres (qui utilisent des expressions telluriques même lorsqu'elles se réfèrent à la mer) ne pouvait avoir lieu que dans le rimland: c'est-à-dire dans la zone des marges du continent eurasien. Cet affrontement, selon Spykman, est principalement dû à une forme de bipolarité permanente: celle entre le "Nouveau Monde" (l'"Occident" dirigé par l'Amérique du Nord) et l'"Ancien Monde" (l'Eurasie). Et le même géopoliticien nord-américain a reconnu la supériorité potentielle de l'"Ancien Monde" sur le "Nouveau Monde". En effet, les États-Unis ne pourraient jamais faire face à une coalition anti-hégémonique de deux ou plusieurs puissances eurasiennes (l'Eurasie a deux fois et demie la superficie et dix fois la population de l'hémisphère occidental). C'est pourquoi leur objectif ne peut être autre que de semer le chaos dans l'espace eurasiatique susmentionné, de contenir toute tentative d'expansion maritime de ses puissances et d'empêcher toute coalition de ses centres de pouvoir: il s'agit donc d'empêcher l'interconnexion entre les ressources naturelles du centre et la force industrielle de la périphérie.

Le récent pacte AUKUS, signé entre les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie, doit être interprété avant tout à la lumière de ces considérations stratégiques et idéologiques. Et surtout, à la lumière du fait que les États-Unis, malgré les preuves répétées de soumission, continuent de percevoir l'Europe (au moins dans certaines de ses composantes) comme un rival plutôt que comme un allié/partenaire.

En fait, le pacte AUKUS représente simplement une évolution des accords militaires et stratégiques qui remontent à la fin de la Seconde Guerre mondiale. La surprise qu'elle a suscitée est plutôt déplacée. Déjà en 1946, un accord entre les États-Unis et le Royaume-Uni, connu sous le nom d'UKUSA, visait la coopération en matière de renseignement. C'est à cette époque qu'ont été élaborés les premiers plans anglo-américains d'attaque nucléaire contre l'Union soviétique (plans qui, en 1967, ont conduit à l'identification de 72 sites d'attaque atomique dans la seule région de Moscou).

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Winston Churchill, 5 mars 1946.

L'accord entre le Royaume-Uni et les États-Unis a été signé le 5 mars 1946, exactement le jour où Winston Churchill a utilisé l'expression "rideau de fer" dans son célèbre discours de Fulton. Le pacte a été élargi en 1948 au Canada et en 1956 à l'Australie et à la Nouvelle-Zélande, devenant ainsi l'infrastructure mondiale de surveillance et d'espionnage complète et semi-puissante connue aujourd'hui sous le nom de "Five Eyes", un système qui n'a été reconnu par les gouvernements respectifs qu'au cours de la première décennie du XXIe siècle. Le secret de cette alliance était (et est) tel que le bureau du Premier ministre australien n'en a eu connaissance qu'en 1973 [1].

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L'accord secret prévoyait que chaque membre de l'alliance était responsable d'une zone géographique spécifique. Le Royaume-Uni était responsable de l'Europe, du Moyen-Orient, de la Russie occidentale et de Hong Kong (il convient de rappeler que les émeutes pro-chinoises de Hong Kong en 1967, contrairement aux manifestations séparatistes hétérodoxes d'aujourd'hui, ont été réprimées dans le sang par les forces de sécurité coloniales) [2]; les États-Unis étaient responsables du Moyen-Orient, de la Chine, de l'Afrique, de l'Amérique latine et de l'Union soviétique; l'Australie de l'Asie du Sud-Est; la Nouvelle-Zélande du Pacifique Sud; et le Canada de la Chine et de la Russie de l'intérieur.

Cette alliance secrète était d'ailleurs fondée sur des valeurs communes de démocratie libérale-capitaliste. Ce n'est pas un hasard si le père de la pensée géopolitique thalassocratique, l'amiral américain Alfred T. Mahan, a défini la "culture anglo-américaine" comme "une oasis de civilisation dans le désert de la barbarie". On retrouve des déclarations similaires à l'origine du mouvement sioniste, lorsque Theodor Herzl a présenté son projet de colonisation de la Palestine comme un avant-poste de la civilisation au milieu de la barbarie.

À vrai dire, le sionisme et l'anglosphère n'ont apporté que mort et destruction dans les espaces qu'ils ont occupés et dans lesquels ils ont tenté d'imposer leur influence. La Grande-Bretagne, par exemple, est également à l'origine de l'invention des camps d'internement pour la population civile, une pratique largement utilisée pendant les guerres anglo-boers au tournant des XIXe et XXe siècles. Les États-Unis, en revanche, outre le génocide des indigènes (également réalisé au moyen d'armes bactériologiques ante litteram, comme la propagation consciente de la variole), ont le mérite d'avoir perfectionné la "diplomatie alimentaire": la capacité de faire encore plus de victimes que la confrontation militaire par l'imposition de sanctions économiques, d'embargos et de blocus navals (l'actuel Ceasar Act étudié contre la Syrie est, en ce sens, l'un des exemples les plus récents et les plus criants).

Aujourd'hui, le rôle attribué aux "Five Eyes" est d'assurer la domination aérospatiale et maritime de l'Anglosphère vis-à-vis de l'Eurasie (dans ses deux composantes orientale et occidentale) afin de protéger les "valeurs partagées" susmentionnées. Ce point, à la lumière des événements récents, doit être analysé à plusieurs niveaux.

Tout d'abord, le pacte AUKUS utilise une fois de plus la rhétorique dépassée qui consiste à présenter des opérations ouvertement agressives comme soutenant la paix et la stabilité. En réalité, ce que l'on cherche à soutenir, c'est uniquement la stabilité de l'ordre mondial américano-centré par le partage de technologies militaires avancées (intelligence artificielle et propulsion nucléaire sous-marine) avec un allié central dans l'espace indo-pacifique (un terme à nouveau propre à la géopolitique thalassocratique).

Pour protéger cet ordre, l'US Navy déploiera des sous-marins nucléaires d'attaque de classe Virginia sur la base navale australienne de Perth ; de son côté, le Royaume-Uni fournira à l'Australie la technologie de propulsion nucléaire pour les sous-marins d'attaque de classe Astute afin de créer 8 sous-marins dans le chantier naval d'Adélaïde [3].

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Avant de se concentrer sur le malaise français, deux faits ressortent: l'exclusion du Canada et de la Nouvelle-Zélande (les deux autres membres des Five Eyes) de l'accord; l'exclusion d'autres " alliés " régionaux comme le Japon, la Corée du Sud et l'Inde du projet de partage de la technologie militaire.

Il est un fait que le Canada et la Nouvelle-Zélande sont en quelque sorte considérés comme le "ventre mou" de l'alliance, même si le Canada a fait preuve d'une loyauté absolue avec l'arrestation de Meng Wangzou, cadre de Huawei. Le discours concernant les alliés régionaux est plus complexe. L'Inde et le Japon font déjà partie du système quadrilatéral avec les États-Unis et l'Australie. En outre, Washington a signé un accord avec New Delhi pour le partage de données satellitaires sensibles le long des frontières indiennes avec la Chine et le Pakistan. Mais le rôle de l'Inde, bien que central dans la région indo-pacifique, ne peut être directement projeté dans la zone de la mer de Chine méridionale: l'une des zones méditerranéennes de l'Eurasie où, avec l'Afghanistan, se jouera le jeu le plus important de la nouvelle guerre froide. Et l'Inde, comme le Japon et la Corée du Sud, ne fait pas partie de l'anglosphère, malgré son passé colonial. Le Japon et la Corée du Sud, pour leur part, sont également trop proches des menaces directes de la Chine et de la Corée du Nord. Il est donc peu pratique de déployer des armes et des technologies facilement accessibles à l'"ennemi"[4].

En conclusion, on ne peut faire l'impasse sur l'analyse de la réponse française qui, malgré quelques vagues références à une armée européenne (absolument dépourvue de sens lorsqu'elle est associée à l'OTAN), peut être attribuée à ce nationalisme mesquin que Jean Thiriart n'a cessé de définir comme "imbécile".

Paradoxalement, la création de l'AUKUS, pour l'instant, bien qu'elle ouvre la course aux sous-marins nucléaires d'attaque et la militarisation de l'Indo-Pacifique, a mis la France en colère plus que la Chine. En effet, d'une part, l'AUKUS met fin aux ambitions de l'Union européenne de pouvoir compter (à travers son premier pays militaire) sur un théâtre stratégique fondamental au niveau mondial. De l'autre, elle fait perdre à Paris une commande de plus de 56 milliards d'euros pour la construction de 12 sous-marins conventionnels (de type Barracuda) signée avec Canberra en 2016. Et elle liquide l'ambition française de devenir une puissance thalassocratique à part entière.

Historiquement, une telle ambition s'est heurtée au caractère géographique d'un Etat, la France, qui est certes baignée sur plusieurs côtés par la mer, mais qui a dû partager une partie de ses frontières avec l'Allemagne, qui tient le centre de la "péninsule européenne", tout en la reliant à la vaste extension continentale de l'Eurasie.

Pour être juste, il faut dire que l'accord franco-australien, entre hausses de coûts et retards, ne progressait pas dans le meilleur des mondes. Toutefois, on pourrait en dire autant de l'accord anglo-australien sur la fourniture de quelques frégates à la Royal Australian Navy. Un accord qui, à son tour, a été signé au détriment de Fincantieri, lorsque le gouvernement australien, n'écoutant pas l'avis contraire de la marine elle-même, a opté "politiquement" pour les frégates britanniques au lieu des Fremm, déjà valables et testées. À cette occasion, malgré la perte d'une commande de 23 milliards de lires, le gouvernement italien, à la différence du gouvernement français, ne s'est même pas permis un petit sursaut d'orgueil.

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S'il en était encore besoin, l'AUKUS démontre le caractère inégalitaire des alliances occidentales. L'anglosphère devient, à toutes fins utiles, le moteur stratégique de l'"Occident", tandis que l'Europe n'est qu'un simple troupeau d'alliés secondaires, utile uniquement pour constituer un débouché pour le complexe militaro-industriel d'outre-mer. Il suffit de dire que la tentation de se ranger immédiatement du côté du nouveau pacte à trois est largement perçue dans de nombreux pays européens: non seulement en Europe orientale, mais aussi en Italie, ce qui est induit par le fait que la France s'est rarement comportée comme un allié (pensez au cas libyen). D'autre part, l'une des principales stratégies de la géopolitique anglo-américaine a toujours été de maintenir l'Europe dans une condition de division interne et d'insipidité au niveau international, afin de garantir son hégémonie sur l'extrémité occidentale de l'Eurasie.

NOTES:

[1] Les Cinq Yeux. L'alliance de l'intelligence de l'anglosphère, www.ukdefencejournal.org.uk.

[2] Voir J. Cooper, Colony in conflict : the Hong Kong disturbances May 1967- January 1968, Swindon Book Company, Hong Kong 1970.

[3] Voir AUKUS, Submarines for Australia and the Lesson for Europe, www.analisidifesa.it.

[4] Pourquoi fournir des sous-marins nucléaires à l'Australie, mais pas à la Corée du Sud ou au Japon?, www.thediplomat.com.

Le Brésil adhèrera-t-il à l'OTAN ?

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Raphael Machado:

Le Brésil adhèrera-t-il à l'OTAN ?

Ex: http://novaresistencia.org/2021/09/23/

Joe Biden a offert au Brésil la position de partenaire non membre de l'OTAN, l'alliance militaire atlantiste créée pendant la guerre froide pour faire face à l'URSS et qui sert aujourd'hui à affronter la Russie et la Chine. Mais quelles sont les conditions ? Et cela servirait-il l'intérêt national du Brésil ?

Il y a quelques jours, l'hémisphère occidental a été surpris par l'invitation faite au Brésil de devenir un "partenaire mondial" de l'OTAN. Le Brésil n'est pas le premier partenaire militaire ibéro-américain de l'OTAN et des États-Unis. Dans la pratique, il y a actuellement trois pays de notre continent qui sont dans l'orbite de l'OTAN : l'Argentine, la Colombie et le Brésil.

À titre d'introduction, les relations de l'Argentine avec l'OTAN ne datent pas d'hier. L'Argentine a participé activement à la guerre du Golfe, a pris part aux opérations militaires en Bosnie et au Kosovo, ainsi qu'à de nombreux exercices et accords dans les années 1990. Toute la géopolitique argentine de la période Menem est marquée par un rapprochement avec les États-Unis, par une vassalité vis-à-vis des puissances atlantiques et par une volonté d'intégrer l'OTAN, pour finalement obtenir le statut d'allié non membre. Curieusement, le gouvernement brésilien, à l'époque sous le commandement du libéral Fernando Henrique Cardoso, a même critiqué le rapprochement de l'Argentine avec l'OTAN, affirmant que cela introduirait des éléments externes complexes dans le contexte de la sécurité régionale et entraverait les débats sur la construction d'un système de défense commun pour le Mercosur, ce qui semble en fait s'être produit, puisque c'est un thème qui a été oublié jusqu'à ce qu'il soit relancé par l'UNASUR.

Cependant, dès le début du gouvernement Lula, le Brésil a entamé un processus de rapprochement avec l'OTAN, initialement dans les domaines économique, logistique et matériel, sous la justification de l'ouverture de marchés pour l'industrie brésilienne. Une chose qui, en soi, et si elle s'arrêtait là, ne serait pas si problématique. Mais le Brésil a continué à être courtisé. Rappelons même que le Brésil faisait déjà partie d'un pacte militaire atlantique, le traité de Rio, qui prévoit que les membres défendront militairement tout pays, membre du pacte, qui serait attaqué par une puissance extérieure. À première vue, ce sont des termes raisonnables, mais le seul pays américain susceptible d'être attaqué par un État étranger est les États-Unis, celui-là même qui provoque la plupart des guerres, ce qui rend le traité de Rio douteux du point de vue de l'intérêt national des États ibéro-américains.

En complément, en 2018, la Colombie est devenue un partenaire global de l'OTAN, un niveau de coopération supérieur à celui d'un allié non membre. Cette décision est également intervenue après des années de rapprochements et d'accords entre les pays. Dans le cas de la Colombie, elle est intervenue au moment le plus tendu des relations avec le Venezuela, à la suite de manœuvres militaires conjointes entre le Pérou, la Colombie et le Brésil avec le soutien du Pentagone.

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Or, le projet d'intensifier le rapprochement entre le Brésil et l'OTAN intervient juste après la victoire électorale de Bolsonaro. Le secteur des relations internationales du gouvernement brésilien compte plusieurs personnages aux tendances millénaristes olaviennes, qui croient en un caractère salvateur et moral de l'OTAN (en tant que rempart contre la "menace communiste") et considèrent donc qu'il est essentiel que le Brésil s'aligne sur l'OTAN pour lutter pour le salut de la "civilisation occidentale".

Il est important de se rappeler qu'une alliance militaire est toujours dirigée contre un ennemi spécifique. Il n'y a pas de pacte militaire dans l'abstrait, même si l'ennemi n'est pas ouvertement déclaré, il y a toujours un ennemi en tête dans le chef de toute alliance militaire. Dans le cas des relations militaires avec les pays d'Amérique du Sud, la cible régionale est évidemment le Venezuela. C'est pourquoi, au-delà des délires millénaristes olaviens, il n'y a aucun avantage à cette association toujours plus étroite avec l'OTAN. Ce sont les États-Unis qui ont besoin de nous et qui veulent nous instrumentaliser contre une nation insoumise. Nous n'avons pas besoin des États-Unis pour les questions de sécurité régionale, car le Brésil n'a pas de problèmes majeurs de sécurité d'urgence impliquant des menaces émanant d'États étrangers, à l'exception de la menace américaine elle-même.

C'est donc dans ce contexte qu'intervient la décision de Trump de désigner le Brésil comme un allié non membre de l'OTAN en 2019. Notons que la liste des pays ayant ce statut est précisément la liste des pays non européens classiquement reconnus comme vassaux des États-Unis. Certains essaient de lire ce rapprochement comme ayant une importance purement commerciale, mais nous ne pouvons pas être d'accord avec ce point de vue. Elle a ouvert la possibilité de partenariats qui pourraient rendre le Brésil dépendant des systèmes de défense américains. Il s'agit d'une question fondamentale qui transcende le simple commerce, car celui qui vend de la technologie militaire possède également les moyens de faire face à cette technologie militaire. Ainsi, dans un scénario où une bonne partie des armes et des systèmes de défense brésiliens proviendraient des États-Unis, ils seraient pratiquement inutiles contre les États-Unis, précisément le pays du monde le plus susceptible de nous envahir ou de nous bombarder (comme ils ont déjà menacé de le faire à plusieurs reprises par le passé).

À titre d'exemple de la déviation de la tradition diplomatique brésilienne, il y a quelques mois, le Brésil a participé à un exercice militaire dans la mer Noire ukrainienne, un exercice dirigé contre la Russie, évidemment. De quelle manière la participation à cet exercice aurait-elle servi les intérêts du Brésil? L'inclusion du Brésil dans l'OTAN va à l'encontre de la politique de défense nationale brésilienne, qui souligne l'importance de l'Atlantique Sud (le concept d'"Amazonie bleue") et la construction de partenariats militaires avec d'autres pays de l'Atlantique Sud, notamment africains, pour protéger les ressources de la région. Cependant, cette politique va précisément à l'encontre des intérêts des pays de l'Atlantique Nord qui ont encore des possessions dans l'Atlantique Sud ou convoitent les ressources régionales.

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Nous en arrivons donc au développement le plus récent, avec l'invitation de Joe Biden. L'idée est d'élever le Brésil au rang de partenaire mondial, au même titre que la Colombie. Cela impliquerait même la possibilité d'une participation active du Brésil aux actions militaires de l'OTAN dans le monde. En échange, les États-Unis veulent que le Brésil empêche Huawei d'entrer sur le marché de la 5G au Brésil.

Maintenant, ni le blocage de Huawei n'intéresse le Brésil, ni l'entrée dans l'OTAN ne nous intéresse. Les États-Unis utilisent l'argument selon lequel la Chine peut utiliser cette technologie pour espionner les pays, mais le Brésil est victime de l'espionnage américain depuis des décennies, les récents scandales étant encore frais dans la mémoire. Pour Bolsonaro, il est important de plaire aux États-Unis en ce moment pour obtenir le soutien international dont il a tant besoin en cette période de crise intérieure maximale. D'autre part, la Chine est actuellement le principal partenaire économique du Brésil. En d'autres termes, en pratique, le Brésil perd avec cette approche, mais Bolsonaro peut avoir une petite victoire et les États-Unis une grande victoire.

Dans le contexte général, il s'agit donc, de la part des États-Unis, de faire face à l'expansion du projet Belt & Road (et de la Chine en général) à travers l'Atlantique Sud, ce qui, à l'heure du repli dans plusieurs autres zones géostratégiques de la planète, est fondamental pour les États-Unis. Après tout, nous sommes son "arrière-cour", comme il est devenu populairement connu.

Mais l'OTAN, relique de la guerre froide et incompatible avec un monde qui évolue vers la multipolarité, est une alliance qui a de moins en moins de prestige. Le retrait inattendu des États-Unis d'Afghanistan, faute de coordination avec leurs alliés, abandonnant ces derniers pour faire cavalier seul, a fait baisser le prestige militaire américain et terni l'image de Biden. Aujourd'hui, les dirigeants européens réfléchissent à nouveau à l'autonomie stratégico-militaire, mais tout dépendra des résultats des élections en Allemagne et en France.

La conclusion est donc qu'il n'est pas dans l'intérêt du Brésil de se rapprocher encore plus de l'OTAN. Nous perdrions plus que nous gagnerions. Ce sont les États-Unis qui ont besoin de nous. Il en va de même pour l'Argentine et la Colombie. Ce qui nous intéresse, c'est de recommencer à discuter, entre voisins, des questions fondamentales de la défense et de la sécurité ibéro-américaines, et de la manière de les résoudre de façon coordonnée.

Source : Diario La Verdad

jeudi, 23 septembre 2021

Les conséquences de l'accord AUKUS

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Les conséquences de l'accord AUKUS

Ex: http://aurorasito.altervista.org/?p=19902 & Moon of Alabama

L'accord AUKUS a permis à l'Australie d'annuler sa commande de sous-marins diesel à la France en acceptant l'offre américaine et britannique d'acquérir des sous-marins nucléaires. Il n'est pas du tout certain que l'Australie trouvera l'argent nécessaire pour payer des sous-marins nucléaires. Ils sont de 50 à 100 % plus chers que les produits conventionnels. L'Australie veut également s'assurer qu'au moins 60% du prix est réinjecté dans la production australienne. Mais il n'y a pas d'entreprises en Australie ayant une expertise dans la technologie nucléaire. Il est également peu probable que les États-Unis ou le Royaume-Uni laissent l'Australie acquérir une telle capacité. Il y a également peu de chances que l'un des nouveaux navires soit prêt avant 2040. D'ici là, il est probable que Taïwan sera sous le contrôle de Pékin et que la primauté navale de la Chine en mer de Chine méridionale n'aura fait que croître.

On peut donc s'interroger sur le calendrier et sur la finalité de cet accord jusqu'à présent. C'est peut-être parce que le plan réel est différent: "Le gouvernement Morrison envisage de louer à court terme des sous-marins à propulsion nucléaire au Royaume-Uni ou aux États-Unis, mais la Coalition insiste sur le fait que les armes nucléaires ne resteront pas en Australie. Le ministre des finances, Simon Birmingham, et le ministre de la défense, Peter Dutton, ont confirmé que la location des sous-marins des alliés AUKUS pourrait être une solution tampon jusqu'à ce que l'Australie en prenne livraison, potentiellement dans les années 2040. "La réponse courte est oui", avait répondu Dutton lorsqu'il avait été interrogé à ce sujet. M. Birmingham a déclaré que les accords de location n'augmenteraient pas nécessairement "le nombre de sous-marins et la capacité des nations partenaires", mais qu'ils contribueraient à la formation et au partage d'informations. "Cela pourrait nous donner l'occasion de former nos marins, de leur fournir les compétences et les connaissances nécessaires à notre fonctionnement', avait-il déclaré. Il nous aiderait à fournir les plates-formes nécessaires pour moderniser l'infrastructure de Perth, qui est nécessaire pour ces sous-marins. Je m'attends à voir... des accords de location ou des opérations conjointes accrues entre nos marines à l'avenir qui verront nos marins travailler en étroite collaboration et, en fait, potentiellement sur des navires britanniques et américains pour obtenir ces compétences, cette formation et ces connaissances."

Perth sera alors construit sur une base compatible avec le probable stationnement permanent de sous-marins nucléaires américains. Ils portent des armes nucléaires. Les bateaux "loués", ou du moins leur système de propulsion, continueraient bien entendu à être pilotés par des équipages américains ou britanniques. Les Australiens ont déjà des problèmes pour maintenir les équipages de leurs sous-marins. Les quelques équipages qui seront disponibles pour les bateaux "loués" ne seront pas suffisants pour les gérer.

Les Australiens paieraient grassement le privilège d'être invités à bord de sous-marins sans doute commandés par les États-Unis. Le gouvernement australien prévoit également d'acheter aux États-Unis des missiles à longue portée très coûteux. Cela permettra d'intégrer davantage leurs forces dans les plans américains de guerre contre la Chine.

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Comme nous l'avons écrit dans un article précédent: "Il s'agit d'une victoire énorme mais à court terme pour les États-Unis, avec un prix ridicule pour la Grande-Bretagne également, et une perte stratégique de souveraineté et de contrôle budgétaire pour l'Australie. La perte de souveraineté australienne, si du moins une telle souveraineté existe, est évidente. Ses nouveaux plans, comme les précédentes mesures anti-chinoises, auront également de mauvaises conséquences économiques. Les négociations en vue d'un accord de libre-échange avec l'UE vont désormais être interrompues: "L'un de nos États membres a été traité de manière inacceptable, nous voulons donc savoir ce qui s'est passé et pourquoi", a déclaré la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, ajoutant que la situation doit être clarifiée "avant de continuer à faire comme si de rien n'était"...

L'Union européenne était le troisième partenaire commercial de l'Australie en 2020, selon la Commission européenne. Le commerce de biens entre les deux s'est élevé à 36 milliards d'euros (42 milliards de dollars) cette année-là, tandis que le commerce de services s'est élevé à 26 milliards d'euros (30 milliards de dollars) en 2019... La menace d'un accord commercial avec l'UE est intervenue à un moment où l'Australie tente de développer de nouveaux marchés d'exportation après que les relations avec la Chine, jusqu'ici son principal partenaire commercial, se soient récemment envenimées. Le charbon, le vin, l'orge et le bœuf australiens ont déjà été affectés par les tensions commerciales avec la Chine et, selon les experts, les accords AUKUS ont encore aggravé l'antagonisme de Pékin".

La Chine reste le premier partenaire commercial de l'Australie. Le principal produit d'exportation de l'Australie est le minerai de fer. Mais même ce commerce est aujourd'hui en grande difficulté: "Le prix du minerai de fer, principal produit d'exportation de l'Australie, a continué à chuter alors que le principal client de la Chine a décidé de réduire sa production d'acier et ses émissions de carbone pour le troisième mois consécutif. Après avoir atteint un record de 230 dollars la tonne en mai, le matériau clé de la fabrication de l'acier a vu son prix divisé par deux et se négocie désormais à moins de 110 dollars la tonne, ce qui a fait chuter le cours des actions des poids lourds de l'industrie minière cotés à l'ASX: BHP, Rio Tinto et Fortescue".

D'autres raisons expliquent la baisse des besoins de la Chine en minerai de fer, et donc de son prix. L'effondrement imminent du groupe immobilier chinois Evergrande va marquer une pause dans le boom de la construction en Chine. La Chine recycle de plus en plus d'acier provenant d'anciennes infrastructures et a donc besoin de moins de minerai de fer brut, même si elle continue à construire de nouvelles usines. Le minerai de fer dont la Chine a encore besoin proviendra bientôt d'Afrique: "Le principal objectif de la diversification de la Chine est la Guinée. Un pays pauvre mais riche en minéraux en Afrique de l'Ouest. Une chaîne de collines de 110 km de long, appelée Simandou, contiendrait la plus grande réserve au monde de minerai de fer de haute qualité non encore exploité..... Le projet de développement de Simandou a été divisé en quatre blocs. La Chine a une participation directe ou indirecte dans chacun d'entre eux. La zone contient environ 2,4 milliards de tonnes de minerai classé à plus de 65,5 %. "L'extraction des réserves de minerai de fer de Simandou transformerait le marché mondial et catapulterait la Guinée au rang de centrale d'exportation de minerai de fer avec l'Australie et le Brésil", avait déclaré Lauren Johnston, chercheur associé à l'Institut de Chine de la SOAS à l'Université de Londres. Si la Chine débloque les réserves de Simandou et fait baisser les prix internationaux du minerai de fer, "vous verrez les marchés sélectifs des matières premières de plus en plus déterminés par la dynamique des pays en développement", a déclaré M. Johnston. Il serait plus facile pour la Chine de naviguer dans ces eaux que de devoir faire des affaires avec l'Australie, membre du Quadrilatère. (Le récent coup d'État en Guinée ne devrait pas modifier ces plans).

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Les mines de fer de Simandou

Le boom minier australien, alimenté par l'essor de la Chine, touche à sa fin. Le pays devra réduire son budget et chercher un nouveau modèle économique. Mais pourquoi parler d'une "victoire énorme mais à court terme" pour les États-Unis ?

C'est une victoire dans la mesure où les États-Unis ont acquis une base de sous-marins en Australie et seront payés pour l'utiliser. Cela semble bien une victoire si l'intention est de mener une guerre froide contre la Chine. Il est douteux qu'il s'agisse d'une stratégie nécessaire et il est tout aussi douteux qu'elle réussisse. Les fabricants d'armes vont évidemment adorer. Mais ce n'est qu'une victoire à court terme dans le sens où les États-Unis vont perdre de nombreux partenaires actuels et potentiels. Elle a relégué les partenaires de la QUAD, l'Inde et le Japon, au second plan et a renforcé les soupçons de l'Indonésie, de la Malaisie et même de Singapour quant à l'éventualité de plans malveillants à leur encontre: "En particulier, l'Indonésie et la Malaisie s'opposeraient fermement au projet de l'Australie d'acquérir sa flotte de sous-marins à propulsion nucléaire avec l'aide des États-Unis et de la Grande-Bretagne. Même Singapour, l'allié le plus fiable de l'Australie dans la région, a exprimé son inquiétude... Si rien d'autre n'a été fait, la décision de sceller les accords AUKS a renforcé la perception largement répandue selon laquelle le mantra de l'Australie selon lequel elle fait "partie de la région" n'est en fait qu'un "discours creux". L'Australie a fermement signalé son intention de donner la priorité aux alliés anglo-saxons que sont les États-Unis et la Grande-Bretagne".

Un ancien ambassadeur britannique en France prédit des problèmes pour l'OTAN: "Peter Ricketts a déclaré que la décision de Canberra d'abandonner son contrat avec Paris pour des sous-marins diesel en faveur des sous-marins nucléaires de Washington creuserait un fossé entre les alliés et affaiblirait l'alliance transatlantique". Je pense qu'une telle démarche sape certainement la confiance des Français dans l'OTAN et les alliés de l'OTAN, et renforce donc le sentiment qu'ils doivent dicter l'autonomie stratégique européenne", a-t-il déclaré. "Je pense que cela ne peut que nuire à l'OTAN, car l'OTAN repose sur la confiance. Les travaux de réparation doivent commencer de toute urgence". 

En marge de l'Assemblée générale des Nations unies, les ministres des affaires étrangères de l'UE discuteront du nouveau pacte de défense signé entre les États-Unis, l'Australie et la Grande-Bretagne... M. Ricketts, représentant permanent auprès de l'OTAN en 2003-2006, a déclaré que la France verrait dans ce conflit un "tournant" dans les relations avec les États-Unis et la Grande-Bretagne. "Il y a un sentiment accru à Paris que les Nord-Américains tournent de plus en plus le dos à leurs alliés européens en matière de sécurité et se concentrent sur leur contentieux avec la Chine", a-t-il ajouté. La France, l'Allemagne et d'autres pays européens veulent être les partenaires économiques de la Chine. Ils considèrent les tentatives américaines de lancer une nouvelle guerre froide comme une diversion inutile par rapport à d'autres problèmes. Il sera de plus en plus difficile pour les États-Unis de faire en sorte que les Européens "s'alignent" sur leurs plans. Dans l'ensemble, les États-Unis ont gagné un point d'appui et un partenaire mineur dans leur tentative désespérée de soumettre la Chine, quatre fois plus grande, mais ils ont perdu la confiance et le soutien du reste du monde. Il s'agit d'une erreur stratégique aux conséquences à long terme.

Traduction par Alessandro Lattanzio

mercredi, 22 septembre 2021

L'"anglosphère" s'en prend aussi à l'entreprise italienne Fincantieri

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L'"anglosphère" s'en prend aussi à l'entreprise italienne Fincantieri

par Alberto Negri

Source : Il Manifesto & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/l-anglosfera-fa-fuori-anche-fincantieri

Aukus. Le méga-contrat avec l'Australie pour neuf frégates Fremm d'une valeur de 23 milliards a été annulé. Canberra a préféré la proposition britannique, même si le projet n'est encore que sur le papier. Le message des États-Unis est clair : il n'y a pas de place pour l'Europe dans le Pacifique.

L'"Anglosphère", le pacte Aukus américano-britannico-australien, a soulevé l'ire de la Chine et frappé durement la France, qui a retiré ses ambassadeurs à Washington et à Canberra. Les Français affirment avoir été tenus dans l'ignorance de l'annulation de la fourniture de sous-marins nucléaires par Naval Gorup, pour un montant de 56 milliards d'euros, mais en fait, il y avait déjà eu un signal d'alarme car, au début de l'été, les Italiens s'étaient également fait rouler par les Australiens.

Et précisément sur la maxi-fourniture de frégates Fremm à la marine australienne par l'entreprise publique Fincantieri, un projet dans lequel le groupe français Naval est également partenaire. En d'autres termes, le piège est double. C'est une histoire intéressante - passée sous silence par les médias nationaux italiens parce que personne n'aime être trompé - qui révèle le niveau de concurrence entre les Européens et le complexe militaro-industriel de l'"Anglosphère" qui, avec le pacte Aukus - l'OTAN dans le Pacifique - lancé par Biden, Johnson et Morrison veut mettre la Chine dans les cordes.

C'est ainsi que la plus importante commande navale italienne de ces dernières décennies, celle passée à l'Australie pour neuf frégates d'une valeur totale d'environ 23 milliards d'euros, a été annulée en juin. La commande a été remportée par l'entreprise anglaise Bae Systems, devant deux autres concurrents, Fincantieri et l'entreprise espagnole Novantia. Le rêve de vendre des navires italiens, qui étaient en fait le fruit d'une collaboration italo-française, a donc été brisé.

C'était un choix politique plutôt que technique, et pour cette raison, il était d'autant plus brûlant. De la comparaison entre la proposition gagnante et la proposition italienne, un aspect est ressorti avant tout : les frégates britanniques sont encore en phase de conception et ne seront disponibles qu'à la fin de la prochaine décennie, alors que les frégates italiennes sont déjà opérationnelles et testées, ce qui aurait permis aux Australiens d'avoir leurs premiers navires dans quelques années. Les Australiens ont donc misé sur un navire valable sur le papier, au lieu d'un navire qui a déjà prouvé son efficacité. Cette décision ne peut être justifiée sur le plan technique et opérationnel.
Le choix, en effet, n'avait aucune justification sur le plan technologique: les Fremms italo-françaises - souligne l'IAI, l'Institut des affaires internationales - sont les unités en service les plus avancées au monde. En outre, Fincantieri avait prévu d'investir directement en Australie pour la construction des navires et d'impliquer largement les fournisseurs locaux.

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Autres réalisations de la firme italienne Fincantieri

Afin de remporter cette commande, le système national était plus engagé que jamais. Une croisière spécifique d'un Fremm de la marine a été organisée, ainsi que la visite en Australie d'une délégation gouvernementale - militaire, diplomatique et industrielle - culminant avec l'arrivée du ministre de la défense puis du ministre des affaires étrangères.

Pour l'Italie, la perte de la commande navale australienne, qui semblait être une affaire réglée, a été une amère déception. Nous avons été battus par un modèle de frégate britannique qui n'existait que sur le papier. S'il est vrai que, dans le domaine naval, un choix est destiné à conditionner les plans militaires nationaux pendant trente ans, cela signifie que l'Italie (mais aussi la France, partenaire de Fincantieri, dans le cas des frégates) n'a pas été jugée suffisamment fiable. Une rebuffade.

En fait, en coulisses, une discussion animée et empoisonnée s'est engagée entre diplomates, militaires et industriels italiens, en raison de l'habituel transfert de responsabilités, suivi d'un silence assourdissant pour ne pas trop amplifier l'échec. Chut et chut, chut et encore chut... dans le pur style manzonien. Un choix qui s'impose également, étant donné que ces frégates Fremm, que nous avons déjà vendues à l'Égypte d'Al-Sisi et au Qatar, Fincantieri aimerait également les placer auprès de l'Arabie saoudite et du Maroc.

La zone d'expansion et d'influence du complexe militaro-industriel européen, non seulement italien, selon les plans de l'"Anglosphère" devrait être limitée, à quelques exceptions près, à la Méditerranée, au Golfe et à l'Afrique, mais ne pas s'étendre au Pacifique, qui est le quadrant stratégique de prédilection des États-Unis.

C'est l'un des messages qui accompagnent le Pacte d'Aukus. Et alors que l'Union européenne a lancé jeudi une nouvelle stratégie dans l'Indo-Pacifique, première pièce d'un projet baptisé Global Gateway avec lequel les Vingt-Sept veulent signer des accords internationaux qui vont bien au-delà du commerce, dans l'industriel, le numérique, la connectivité et, comme par hasard, dans la "sécurité maritime".

Le "coup de poignard dans le dos" dont parle le ministre français des Affaires étrangères Le Drian à propos du pacte Aukus est le début d'un grand jeu géopolitique qui vise d'une part à faire pression sur la Chine, mais aussi à redéfinir les zones d'expansion militaire et économique dans un monde qui investit l'Eurasie et le Pacifique.

Les États-Unis veulent aussi laisser des miettes à leurs alliés et quelques pièges pour occuper amis et ennemis, de l'Afghanistan à l'Irak, dont ils se retirent à la fin de l'année pour faire place à l'OTAN. Ils nous laissent vingt ans de désastres, de guerres, de millions de morts et de réfugiés civils, de déstabilisation éternelle, de chaos : et même pas un pourcentage des profits du complexe militaro-industriel. Ce sont les Français qui protestent, pas nous, comme d'habitude car nous sommes alignés et couverts.

Le meurtre géopolitique d'Alfred Herrhausen

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Le meurtre géopolitique d'Alfred Herrhausen

par Giacomo Gabellini

Source : Giacomo Gabellini & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/l-omicidio-geopolitico-di-alfred-herrhausen

Avant d'embrasser une carrière de banquier et de s'attirer les bonnes grâces du chancelier Helmut Kohl, Alfred Herrhausen avait géré avec une grande intelligence la restructuration de Daimler-Benz, à qui il avait imposé un processus de diversification aboutissant à la transformation de l'entreprise en un groupe technologique intégré, doté du savoir-faire nécessaire pour opérer dans les secteurs stratégiques de l'aérospatiale, de la défense, de l'électronique et de la technologie ferroviaire. Dans le cadre du plan de Herrhausen, la division Mercedes a été progressivement rejointe par les trois autres divisions principales, Dasa, axée sur l'aérospatiale et la défense, Aeg, axée sur l'électronique, et Debis, axée sur les finances.

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En bon industriel "prêté" au monde de la finance, Herrhausen avait prévu de se débarrasser des coûts de la réunification en mettant les hautes compétences des anciens ingénieurs et ouvriers est-allemands au service d'un projet visant à la relance économique de toute l'Europe de l'Est. D'ici dix ans", déclare Herrhausen, "l'Allemagne de l'Est deviendra le complexe le plus avancé technologiquement en Europe et le tremplin économique vers l'Est, de sorte que la Pologne, la Hongrie, la Tchécoslovaquie et même la Bulgarie joueront un rôle essentiel dans le développement européen" (1).

Dans un article publié dans le journal économique allemand Handelsblatt, Herrhausen a dénoncé le fait que la politique d'endettement adoptée par les banques, en particulier les banques américaines, à l'égard des pays en difficulté financière visait à aggraver leurs conditions, et a indiqué que les mesures à adopter pour parvenir à une reprise économique vigoureuse dans les pays en développement étaient une forte réduction du fardeau de la dette (jusqu'à 70 %) des pays pauvres, une réduction des taux d'intérêt à cinq ans et un allongement de la durée des prêts. Une telle recette permettrait en effet "à ces nations de réaffecter à la relance économique les ressources jusqu'alors allouées au service de la dette". (2). 

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Le concept de Herrhausen s'inspire de l'accord de Londres sur la dette de 1953, grâce auquel l'Allemagne de l'Ouest a pu opérer un puissant redressement industriel. Le banquier a estimé que les déséquilibres de la dette constituaient un "risque systémique" et a donc proposé de les atténuer en créant à Varsovie un organisme inspiré de la Kfw, qui avait géré avec succès la relance de l'économie allemande après la Seconde Guerre mondiale. Un organisme alternatif à la Banque mondiale et au FMI, chargé d'accorder des prêts dans le cadre d'un "nouveau plan Marshall" visant à la relance des pays d'Europe de l'Est, et non à leur conversion immédiate au système néolibéral. Dans le droit fil de cette "nouvelle Ostpolitik", le banquier allemand a fait pression pour l'abolition de la dette "intra-entreprise", un chiffre comptable qui accablait les anciennes industries communistes (en 1994, il atteignait 200 milliards de marks) et grâce auquel la Banque mondiale et le FMI tenaient les pays d'Europe de l'Est entre leurs mains.

Le président de la Deutsche Bank est même allé jusqu'à souligner que la renaissance économique de l'ancienne zone soviétique et son intégration dans la structure productive de l'Europe occidentale étaient dans l'intérêt de l'Allemagne qui, pour y parvenir, devrait allouer des ressources à la construction de lignes ferroviaires rapides capables d'assurer le transport rapide des matières premières de la Russie vers les centres industriels allemands. Il s'agissait précisément du type de projet auquel la Grande-Bretagne, puis les États-Unis, avaient opposé une résistance acharnée au cours des décennies précédentes, comme Kissinger l'a lui-même candidement admis: "Si les deux puissances [l'Allemagne et la Russie] devaient s'intégrer économiquement et forger des liens plus étroits, leur hégémonie serait menacée" (3).

Dans la vision profondément novatrice de Herrhausen, l'Allemagne devait être transformée en un pont entre l'Est et l'Ouest et en un moteur pour la reconversion industrielle de l'Europe de l'Est - en particulier de la Pologne, qui était considérée comme la nation clé de la région. Alors qu'il s'efforçait de mettre en pratique ses plans, qui consistaient à libérer l'ensemble du "vieux continent" de la "tutelle" économique américaine par la Banque mondiale et le FMI, Herrhausen a révélé qu'il s'était heurté à des "critiques massives", en particulier de la part du président de la Citibank, Walter Reed, notamment après qu'il eut publiquement plaidé en faveur d'un moratoire sur la dette de l'Europe de l'Est pendant quelques années. 

Malgré la forte résistance à laquelle il est confronté, Herrhausen parvient néanmoins à étendre le champ d'action de la Deutsche Bank en absorbant la Bank of America and Italy, les banques d'affaires Mdm (portugaise), Albert de Bary (espagnole) et Morgan Grenfell (une prestigieuse banque d'investissement londonienne). Le renforcement de ce qui était déjà la plus grande institution de crédit allemande était nécessaire pour constituer un pôle économique valable et puissant pour faire contrepoids aux grands groupes financiers anglo-américains, qui menaient une vaste campagne d'expansion monétaire en accordant des prêts à fort taux d'intérêt aux pays pauvres. Du point de vue de Washington, le projet de Herrhausen représentait une menace particulièrement insidieuse car il remettait en cause l'emprise des États-Unis sur les pays en développement (le président mexicain Miguel de la Madrid, impressionné par les idées de Herrahusen, l'a invité à Mexico en 1987 pour analyser ses propositions) dont dépendait le maintien de l'ordre économique établi pendant l'ère Reagan. "Les marchés financiers et monétaires mondialisés sont désormais une question de sécurité nationale pour les États-Unis" (4), a déclaré sans ambages le directeur de la CIA William Colby, faisant écho à son collègue de la CIA William Webster, qui a déclaré qu'avec la chute du mur de Berlin, "les alliés politiques et militaires de l'Amérique sont désormais [devenus] ses rivaux économiques" (5).

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Le 1er décembre 1989, un engin explosif à déclenchement laser placé devant le domicile de Herrhausen à Bad Homburg (banlieue cossue de Francfort) fait exploser la voiture blindée dans laquelle le banquier venait de monter. La responsabilité a été attribuée au groupe terroriste d'inspiration communiste Rote Armee Fraktion (Raf), bien que la sophistication de l'attaque ait suggéré un spectre plus large d'investigations. Ce n'est pas une coïncidence si les trois membres de la "nouvelle génération" de l'ancienne bande Baader-Meinhof, qui ont été arrêtés au cours des enquêtes initiales, se sont avérés par la suite ne pas être impliqués dans l'attentat. À ce jour, la justice allemande n'a pas été en mesure d'identifier les coupables.

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Le colonel Fletcher Prouty, un vétéran de la CIA qui avait déjà décrit au procureur Jim Garrison le contexte politique dans lequel l'assassinat de John F. Kennedy avait eu lieu, a révélé que l'assassinat de Herrhausen avait eu lieu "quatre jours avant que [le banquier] ne vienne aux États-Unis pour faire un discours qui pourrait changer le destin du monde". Le mur de Berlin était tombé et Herrhausen voulait expliquer aux Américains les nouveaux horizons de l'Europe [...]. Herrhausen a parlé d'une grande Europe unie, sans l'interférence de la Banque mondiale. Il a parlé d'un projet d'intégration entre l'Europe de l'Est et de l'Ouest. Une opération qui aurait changé les relations internationales et qui a été étouffée dans l'œuf". (6). C'est pourquoi, selon Prouty, l'assassinat du président de la Deutsche Bank s'inscrit dans le même cadre général que celui dans lequel se sont déroulés les meurtres d'Enrico Mattei et d'Aldo Moro.

Notes:

1) Voir Engdahl, William, What went wrong with East's Germany economy, "Executive Intelligence Review", 2 octobre 1992.
2) Herrhausen, Alfred, Die Zeit ist reif. Schuldenkrise am Wendepunkt, 'Handelsblatt', 30 juin 1989.
3) Cf. Kissinger : "Der Western muß sich an das neue Selbstbewußtsein der Deutschen gewöhnen", "Welt am Sonntag", 3 mai 1992.
4) Cf. Taino, Danilo, Belzébuth sur le yacht, "Corriere della Sera", 10 mars 1993.
5) Voir le directeur de la CIA, Webster, qui cible les alliés américains, "Executive Intelligence Review", 13 octobre 1989.
6) Voir Cipriani, Antonio, Colonel Prouty : "Je vous explique qui gouverne le monde", "L'Unità", 19 mars 1992.

La France est devenue une puissance régionale de second rang

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La France est devenue une puissance régionale de second rang

Andrei Martyanov

Source Reminiscence of the future

Eh bien, je vais aussi en parler. Je veux dire toute cette affaire AUKUS et la perte par la France d’un énorme contrat pour fournir des sous-marins à la Royal Australian Navy. À ce stade, je ne suis pas intéressé par les détails techniques de cette histoire, car il est inutile de se concentrer sur les détails techniques de quelque chose qui peut encore changer plusieurs fois, peut-être même ne jamais se concrétiser. En revanche, je m’intéresse, comme toujours, aux facteurs fondamentaux qui définissent le cadre du problème. Le Drian et toute personne au sommet de la politique française peuvent bien exprimer leur frustration et jouer aux jeux géopolitiques qu’ils veulent :

Vendredi, la France a rappelé ses ambassadeurs à Washington et à Canberra 
après que l'Australie a abandonné un important programme de sous-marins avec
la France en faveur de l'acquisition de sous-marins à propulsion nucléaire
avec l'aide des États-Unis et du Royaume-Uni. Paris a violemment protesté
contre le nouvel accord entre l'Australie, les États-Unis et le Royaume-Uni,
connu sous le nom d'AUKUS. Le Drian a qualifié l'abandon du programme
franco-australien de "coup de poignard dans le dos".

Cela ne change rien au fait qu’en ces temps de crise grave et terminale de la Pax Americana et du libéralisme occidental, la France n’est plus une superpuissance mondiale et n’est importante que parce qu’elle suit le monde anglo-saxon qui mène une lutte désespérée pour sa survie en tant que puissance mondiale. C’est aussi simple que cela. La France n’est tout simplement pas vraiment importante pour cette lutte existentielle. En fin de compte, D.C. et Londres se préoccupent d’abord d’eux-mêmes, aussi déformée et illusoire que soit cette préoccupation, et Paris est considérée comme une simple « nourriture » qui sera consommée si la nécessité et l’opportunité se présentent. Vous pouvez toujours rétorquer que la France a sa propre dissuasion nucléaire, qu’elle possède Renault et le siège d’Airbus, qu’elle a son propre programme spatial, etc. C’est vrai. Tout cela est un fait, mais n’oublions pas la définition, et non la pseudo-science politique de l’Ouest, de la puissance globale. Bien, la définition est celle des 14 critères de Jeffrey Barnett (à ne pas confondre avec Corelli Barnett) et permettez-moi de vous rappeler ce qu’ils sont. Barnett les a énumérés dans le trimestriel « Paramètres de l’US Army War College », en 1994.  Quelle que soit la façon dont les réalisations de la France sont considérées, dont certaines avec un respect bien mérité, la France ne correspond tout simplement à aucun de ces 14 critères.

La France ne domine pas l’accès à l’espace, les États-Unis, la Russie, la Chine et l’Inde le font ; la France ne contrôle pas les voies de communication maritimes (SLOC), les États-Unis, la Chine et la Russie le font, la France ne fournit certainement pas la majorité des produits finis, la Chine le fait et la France ne domine certainement pas l’industrie de l’armement de haute technologie, les États-Unis et la Russie le font. Même si l’on imagine que demain la Marine Nationale ajoute deux autres porte-avions à propulsion nucléaire à sa flotte, cela ne fera toujours pas de la France une puissance mondiale. Militairement et économiquement, la France est une puissance de second rang, qui a cédé une partie de sa souveraineté à des organisations supranationales telles que l’OTAN et l’UE et qui ne remplit donc pas le critère le plus important définissant une puissance mondiale ou une superpuissance : des politiques mondiales totalement indépendantes et protégées. La France n’est pas non plus capable de créer et de maintenir une quelconque alliance significative par elle-même. Les États-Unis et la Russie le peuvent, tandis que la Chine, en raison de son énormité économique et démographique, est une alliance en soi. De plus, la Chine et la Russie ont des alliances entre elles.

Donc, dans ce cas, étant une puissance régionale de second rang, la France ne peut pas s’attendre à ce que ses intérêts soient sérieusement pris en compte lorsque l’on parle de projets aussi immenses, financièrement parlant, que l’AUKUS. Les alliances sont créées non seulement contre quelqu’un mais aussi pour un accès exclusif aux capitaux et aux marchés, en particulier les marchés d’armes, au sein de ces alliances. Dans ce cas particulier, la France est un outsider et peu importe les hyperboles utilisées par les politiciens français frustrés pour décrire la « trahison » de la France par les Anglo-Saxons, c’est une réalité. Scott Ritter a peut-être raison lorsqu’il décrit l’affaire AUKUS comme une histoire d’achats militaires géopolitiques devenus fous. Mais si l’on considère l’état économique des États-Unis qui est en bout de course, tous les moyens sont bons pour maintenir un flux de trésorerie et la France a simplement été supprimée sur la route de ce flux de trésorerie. C’est aussi simple que cela. A temps désespérés, mesures désespérées. Un truisme, vraiment.

Ainsi, quelques soient les détails techniques de tout ce cirque, certaines leçons sont déjà évidentes et je souscris ici à chaque mot de la conclusion de Ritter :

Mais le fait demeure que les États-Unis n'ont pas de riposte militaire significative 
face à la Chine, que le Royaume-Uni n'est pas capable de maintenir une présence
militaire crédible dans le Pacifique et que l'Australie ne peut pas se permettre
d'acquérir et d'exploiter une force de huit sous-marins d'attaque à propulsion
nucléaire. Le projet de sous-marin nucléaire australien est une plaisanterie
dangereuse qui ne fait qu'exacerber la crise géopolitique existante avec la
Chine en y injectant une dimension militaire qui ne servira à rien.

Toute cette histoire d’AUKUS, comme je l’ai déjà dit précédemment, est un excellent indicateur du déclin de la puissance des États-Unis, qui, dans leurs tentatives désespérées de préserver les restes de leur hégémonie mondiale autoproclamée, sont prêts à tout, sauf, espérons-le, à la guerre nucléaire, et s’il faut humilier et « sacrifier » la France, qu’il en soit ainsi. L’Europe occidentale devrait se préparer à l’être aussi, comme je l’écris depuis de nombreuses années (je cite un article d’il y a 2 ans) :

Macron fait une erreur ici. Eh même plusieurs erreurs, en fait. Pour commencer, 
"pousser la Russie hors d'Europe" n'était pas une "erreur stratégique" - c'était
le plan et l'objectif principal de Washington, dirigé à l'époque par Obama et
continuellement mis en œuvre maintenant par l'administration Trump. De plus,
"chasser la Russie" ne concerne pas seulement la Russie, mais aussi l'Europe
elle-même. L'Europe, telle qu'elle existe aujourd'hui, ne présente aucun intérêt
pour la Russie dans un sens métaphysique, si ce n'est un intérêt purement économique
en tant que marché, mais la majorité des Russes se félicitent aujourd'hui de la
réussite de cette "mise à l'écart". L'Europe, pendant ce temps, est un agneau
sacrifié pour les États-Unis qui, dans une tentative désespérée de sauver leur
peau, vont démolir l'Europe économiquement parce que les élites européennes
sont une pathétique parodie de direction politique, certaines d'entre elles
sont carrément des imbéciles, sans oublier qu’un certain nombre sont effectivement
des produits de la sélection américaine. Donc, non - laissez l'Europe traiter avec
les États-Unis, ou vice-versa, et laissez la Russie en dehors de cela.

Alors, ne me dites pas que je ne vous ai pas prévenu. Oh, allez, les États-Unis ont besoin de manger aussi. Au moment où la France a réintégré pleinement l’OTAN en 2009, un processus défendu par le président de l’époque, Sarkozy , tout a été fini pour elle. Dommage qu’elle ne l’ait pas vu venir. Eh bien, elle le voit maintenant. Comme on dit : mieux vaut tard que jamais. Tolstoï l’avait déjà vu il y a longtemps :

Un Français est sûr de lui parce qu'il se considère personnellement, tant dans 
son esprit que dans son corps, comme irrésistiblement attirant pour les hommes
et les femmes. Un Anglais est sûr de lui, car il est citoyen de l'État le mieux
organisé du monde, et donc, en tant qu'Anglais, il sait toujours ce qu'il doit
faire et sait que tout ce qu'il fait en tant qu'Anglais est indubitablement correct.
Un Italien est sûr de lui parce qu'il est excitable et qu'il s'oublie facilement
et oublie les autres. Le Russe est sûr de lui parce qu'il ne sait rien et ne
veut rien savoir, car il ne croit pas que l'on puisse savoir quoi que ce soit.
L'assurance de l'Allemand est la pire de toutes, la plus forte et la plus
répugnante de toutes, car il s'imagine connaître la vérité - la science - qu'il
a lui-même inventée mais qui est pour lui la vérité absolue.

Eh bien, que dire. Nous sommes au XXIe siècle et la France n’a absolument rien appris depuis le départ de son dernier Titan et Héros, parti en 1969. Ou, plutôt, chassé par ce que beaucoup considèrent encore comme une révolution de couleur organisée par les États-Unis. Il est donc temps de faire face aux conséquences.

Pendant ce temps, la Russie continue de construire ces corvettes à missiles comme s’il n’y avait pas de lendemain, la dernière en date, Grad (Grêle), a été mise à l’eau à Zelenodolsk hier (vidéo en russe):

https://www.youtube.com/watch?v=FTSAcvhVL8M

Avec les nouveaux 3M14M d’une portée de 4 500 km, ces navires peuvent frapper n’importe quel pays d’Europe à partir d’un fleuve ou d’un lac situé au cœur du territoire russe. Au cas où. Autre nouvelle connexe :

TEHRAN (Iran News) - L'Agence fédérale russe du transport aérien (Rosaviatsia) 
et l'Organisation de l'aviation civile de la République islamique d'Iran ont
signé le 6 septembre 2021 un protocole d'accord visant à "créer des conditions
favorables à l'approbation de la conception standard des équipements de l'aviation
civile russe exportés en Iran"
. L'accord est le résultat des négociations qui ont

eu lieu entre les deux autorités aéronautiques en juin 2021, a expliqué Rosaviatsia
dans un communiqué.

L’Iran recevra un grand nombre de SSJ-100R entièrement russifiés. Le MS-21 est en cours, une fois que la Russie aura satisfait ses besoins internes en matière d’aviation commerciale.

Andrei Martyanov

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone

mardi, 21 septembre 2021

La dialectique technologique sino-américaine

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La dialectique technologique sino-américaine

Daniel Miguel López Rodríguez

Ex: https://posmodernia.com/la-dialectica-tecnologica-chino-estadounidense/ 

Au cours des dernières décennies, et surtout ces dernières années, la Chine a fait un grand bond en avant économique et technologique, ce qui est alarmant pour les États-Unis et peut-être pour ce que nous appelons "l'Occident" (une expression qui semble dire beaucoup pour ne rien dire). 

Le gouvernement chinois n'est pas soumis à des cycles électoraux courts, comme c'est le cas dans les démocraties occidentales, et le comité central des dirigeants peut donc s'engager dans une planification à long terme, comme le prévoient leurs plans quinquennaux. Cela a été fondamental pour la croissance de la Chine dans les domaines de l'éducation, de la santé, des infrastructures, de la recherche et du développement. Voici l'une des raisons pour lesquelles la Chine est devenue l'une des principales nations technologiques du 21e siècle. 

La Chine s'est plainte et a averti Trump "de ne pas créer un champ de bataille dans l'espace", car les États-Unis "ont poussé leur stratégie de domination de l'espace, allant plus loin dans la voie de l'arsenalisation de l'espace et risquant de le transformer en un nouveau théâtre de guerre" (cité par Alfredo Jalife-Rahme, Guerra multidimensional entre Estados Unidos y China, Grupo Editor Orfila Valentini, Mexico 2020, p. 269). Les trois superpuissances s'affronteront-elles sur terre, sur mer et dans les airs, mais aussi dans le cyberespace et l'espace orbital ? 

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En 1967, deux ans avant qu'Apollo 11 ne se pose sur la lune, le traité sur l'espace extra-atmosphérique a été signé et ratifié par 110 pays interdisant la militarisation de l'espace (dont les États-Unis et l'Union soviétique, ainsi que la Chine de Mao). Cela semble désormais être une lettre morte, et il est plus réaliste de parler de "guerre des étoiles" que de "paix céleste".     

Le système de défense antimissile américain est plus présent dans différents pays et régions, avec des cibles russes et chinoises à portée, comme le système de défense de zone terminale à haute altitude (THAAD) construit par l'entrepreneur militaire Lockheed Martin.

Alors que les États-Unis dépensent 3.000 milliards de dollars en dépenses militaires, ce que fait également la Russie, bien qu'à une moindre échelle, la Chine ne dépense pas un seul yuan pour la guerre (elle dépense un seul yuan pour construire une bonne armée, ce qui est une autre question). L'Empire du Milieu n'est pas entré en guerre depuis 1979, alors que les Etats-Unis sont en guerre en permanence (pour la plus grande gloire et le plus grand profit du complexe militaro-industriel). La Chine investit dans les infrastructures, se targuant de 30.000 kilomètres de voies ferrées à grande vitesse, de la 5G de Huawei et de l'alunissage sur la face cachée de la lune. C'est précisément sur la lune que la Chine entend se fournir en hélium 3, une substance qui pourrait fournir 10.000 ans d'énergie (40 grammes d'hélium 3 peuvent remplacer 5 000 tonnes de charbon).

L'intelligence artificielle est également très importante pour la guerre. Eric Schmidt, président d'Alphabet Inc, filiale de Google, a prévenu que "la Chine dépassera les États-Unis dans le domaine méga-stratégique de l'intelligence artificielle (IA) d'ici 2025, puis dominera le secteur d'ici 2030" (Alfredo Jalife-Rahme, Multidimensional war between the United States and China). Bien que les États-Unis aient été les pionniers de l'IA, ils semblent être en passe d'être dépassés par la Chine, ce qui va poser un très sérieux problème à la cabale GAFAT (Google, Apple, Facebook, Amazon, Twitter) de la Silicon Valley associée au Pentagone, plus précisément au segment du Defence Innovation Board (DIB). Selon les experts, la Chine a déjà dépassé les États-Unis en matière de 5G et d'IA d'au moins 10 ans. 

Avec la "guerre commerciale", les États-Unis (avec Trump et Biden) tentent d'affaiblir l'avancée de la Chine dans le domaine de l'intelligence artificielle et de la robotique, domaine dans lequel l'avancée chinoise semble imparable. Les États-Unis achètent beaucoup plus à la Chine que la Chine n'achète au pays américain, d'où l'excédent commercial que la nation asiatique a acquis. Trump a exigé la réciprocité de la Chine, mais pendant que cette asymétrie s'éternisait, la Chine s'est surdéveloppée.

Le projet "Made in China 2025" englobe l'intelligence artificielle, la robotique, l'informatique quantique, les nouveaux véhicules à énergie autonome, les dispositifs médicaux à haute performance, les composants de navires de haute technologie et d'autres industries émergentes pour la défense nationale. Avec toute cette haute technologie, Pékin cherche l'autarcie, mais dans un monde globalisé (nous nous référons à la globalisation positive qui existe réellement et que nous avons décrite dans les pages de Posmodernia : https://posmodernia. com/globalizacion-positiva-y-globalizacion-aureolar/) avec l'interdépendance croissante, surtout entre la Chine et les États-Unis, l'autarcie est quelque chose qui semble impossible, même s'il s'agit d'une "autarcie technologique" telle que présentée sous la forme d'un plan quinquennal lors de la cinquième session plénière du Parti communiste chinois (PCC) ; car il y aura toujours des confrontations corticales, et même inévitablement des accords ponctuels et donc des échanges technologiques et de toutes sortes. Même si, comme l'a dit Kissinger en 2018, la Chine et les États-Unis sont presque destinés à un conflit, et là, l'interdépendance serait un combat, comme un bataillon d'hoplites. Quoi qu'il en soit, l'objectif des autorités de Pékin est de faire de l'Empire du Milieu une superpuissance technologique, même si cela, à la crainte de beaucoup, peut déjà être affirmé sans réserve.

Huawei est la seule marque de téléphones à défier Samsung et Apple, étant la marque phare de l'ambitieux projet Made in China 2025. D'où le veto américain à l'encontre de Huawei. C'est pourquoi le conseiller juridique de l'entreprise, Song Liuping, s'en est pris à M. Trump en lui reprochant d'aller "à l'encontre du marché libre et de la liberté de choix des consommateurs" (https://www.naiz.eus/es/hemeroteca/7k/editions/7k_2019-12-08-06-00/hemeroteca_articles/la-guerra-fria-del-siglo-xxi). Huawei est une entreprise privée, mais Trump a insisté sur le fait qu'elle travaillait pour le gouvernement de Pékin (ce qui n'est en aucun cas une affirmation farfelue de l'homme aux cheveux blonds, comme il est caricaturé dans la presse mondialiste). 

Comme l'a déclaré Ren Zhengfei, fondateur et PDG de l'entreprise, "il est ironique que les États-Unis, dont nous savons pertinemment qu'ils espionnent leurs citoyens et d'autres personnes à l'étranger parce qu'Edward Snowden l'a révélé, accusent une entreprise chinoise de collaborer avec le gouvernement chinois sans que personne n'ait trouvé le moindre lien". "Vendre la Chine comme le mal est devenu à la mode" (Ibid.). Et cela concerne à la fois l'élite financière mondialiste (Soros ne s'est pas privé de pointer du doigt la Chine, mais aussi la Russie) et l'élite nationaliste derrière Trump. 

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En décembre 2018, le PDG de Huawei, Meng Wanzhuo, a été arrêté au Canada pour fraude, complot et détournement de fonds. Les Américains ont vu dans le réseau 5G une technologie destinée à l'espionnage chinois, bien que l'espionnage n'ait pas été étranger aux États-Unis, il suffit de demander à Snowden. Pour éviter l'espionnage américain, les Chinois ont créé leurs propres réseaux sociaux, tels que WeChat et Weibo.

Xi Jinping entend "construire une Chine numérisée et une société intelligente" en augmentant les "forces stratégiques scientifiques et technologiques" (http://spanish.xinhuanet.com/2017-11/03/c_136726335.htm).     

Le ministre des sciences et de la technologie, Wang Zhigang, a déclaré que la Chine entrait dans une nouvelle phase dans laquelle "c'est la première fois qu'un plan quinquennal était consacré au chapitre spécifique de la technologie" (cité par Jalife, US-China Multidimensional Warfare, p. 375). Le plénum du Comité central du PCC s'est tenu juste avant l'élection américaine tendue entre Joe Biden et Donald Trump, comme si les Chinois voulaient laisser un message au vainqueur (qui s'est avéré être, non sans contestation, le candidat démocrate). 

Trump a qualifié le leadership de la Chine dans le réseau 5G de menace pour la "sécurité nationale des États-Unis". Selon les stratèges américains, "tout pays qui maîtrise la 5G aura un avantage économique, d'espionnage et militaire pour la majeure partie de ce siècle", car la 5G ou l'internet des objets va être une révolution : "elle sera plus importante que l'électricité" (cité par Alfredo Jalife-Rahme, Guerre multidimensionnelle entre les États-Unis et la Chine). 

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Mais plus inquiétant pour cette sécurité est l'alunissage. Outre la 5G et l'intelligence artificielle, il y a les missiles supersoniques, comme le missile Dong Feng-17, qui sera difficile à contrer pour le système de détection américain et qui constitue donc le grand espoir militaire de la Chine pour les années à venir. Cependant, il semble que la Chine n'ait pas l'intention de s'étendre militairement, mais qu'elle ait l'intention de s'étendre commercialement (comme nous le voyons en Afrique et aussi avec les routes de la soie dans une grande partie du monde). Mais comme l'économie est toujours économico-politique, les résolutions militaires et leurs conséquences géopolitiques correspondantes ne sont pas à exclure. 

En ce qui concerne la technologie quantique, qui constitue également un problème de sécurité nationale pour les États-Unis, la Chine possède deux fois plus de brevets que les États-Unis. Mais les États-Unis possèdent trois fois plus d'ordinateurs quantiques, même si la Chine est loin d'être à la traîne et pourrait, en 2030, comme proposé, prendre la tête dans ce domaine également.

La Chine détient également 20 % de la construction mondiale de câbles sous-marins, construisant une sorte d'autoroute de l'information reliant l'Europe et l'Afrique (câble Peace, dont l'achèvement est prévu pour la fin 2021).

Daniel Miguel López Rodríguez

Né en 1980. Vit à Cortegana (Huelva). Diplôme de philosophie de l'université de Séville. Master en philosophie et culture moderne. Docteur en philosophie (Summa Cum Laude) dans le cadre de la thèse intitulée "Matérialisme et spiritualisme. La critique du matérialisme philosophique au marxisme-léninisme".